Nous vous invitons à la préparation de l’Université des Conflits qui se déroulera pendant les Dialogues en humanité des 7, 8 et 9 juillet 2023 à Lyon sur le thème général « Comment transformer les conflits pour éviter les violences et les guerres?».
La question des conflits est une très vieille histoire liée avec celle de l’humanité. Comment faire pour maintenir toutes les formes de communauté vivante et non en situation de violence et de guerre ? Ceci a toujours été valable aussi bien pour les cellules familiales, les communautés, les entreprises, les nations, les régions du monde ou la communauté mondiale.
En ce début de l’année 2023, il nous apparaît particulièrement important de repenser la question des conflits. La décennie des années 2010 a été marquée par des conflits sociaux importants dans de nombreuses sociétés mais aussi par des tensions, des violences et des guerres comme celles de la Syrie, de la Lybie, du Mali et de l’Ukraine.
Si les conflits entre Etats n’ont malheureusement pas disparu, les dynamiques conflictuelles paraissent de plus en plus complexes, avec une tendance à l’accélération et à la circulation rapide des idées et émotions produisant de nouveaux conflits au sein et à l’extérieur des sociétés.
Les sociétés semblent traversées par de nouveaux conflits qui conjuguent des questions sociales, politiques, économiques, écologiques, culturelles, de genre et informationnelles. Pour les individus et les communautés, les conflits sont nombreux et intersectionnels, combinant par exemple des dynamiques liées aux classes sociales, aux origines, aux genres et aux territoires .
Ceci nous oblige à voir les situations avec des grilles d’analyse renouvelées et variées mais aussi à apprendre et à échanger avec ceux qui ont fait des bouts de chemin pour agir dans des situations conflictuelles et de violence.
La capacité des groupes et des individus à comprendre les dynamiques à l’œuvre est d’une importance capitale pour envisager des issues porteuses de résilience et de changement. Dès lors, il nous semble urgent d’appréhender ces conflictualités avec une vision renouvelée des dynamiques qui sont à l’œuvre et d’envisager quelles seraient les savoirs, compétences et méthodes de transformation sociale qui permettraient aux individus et aux communautés de contribuer à une émancipation collective.
Avec l’Université des Conflits, nous proposons :
– de permettre à un public très large de découvrir, de connaître et de vivre des pratiques de démarches, de méthodes pour faire face aux conflits. En ce sens nous invitons des démarches variées à participer à ces journées et aussi à leur préparation.: CNV, ATCC, Thérapie Sociale, Processwork/démocratie Profonde, Communautéy Organizing, Cercles restauratifs, Cercles de dialogue, Médiation..
– d’ouvrir un espace d’échanges pour renouveler nos savoirs et méthodes à partir des nouvelles formes de conflictualité. Il s’agit aussi bien de prendre en compte la diversité des conflits interpersonnels, au sein des groupes, à commencer par nos propres organisations qu’au sein et entre les sociétés.
– de donner l’occasion de faire émerger et avancer des initiatives, des projets, des propositions de toutes nature dont politique pour mieux travailler et transformer à tous les niveaux les conflits afin d’éviter les violences et les guerres.
Pour préparer l’ « Université des conflits », nous vous proposons dés maintenant trois grands rendez vous en visioconférence
le vendredi 24 février 2023 de 17H à 19H
le mercredi 22 mars 2023 de 17H à 19H
le mardi 3 mai 2023 de 17H à 19H
L’objectif de ces rencontres de préparation sera de mieux se connaître, partager nos visions et méthodes de transformation des conflits et construire le programme pour contribuer aux Dialogues en Humanité 2023 selon quatre modalités :
· Des « Ateliers du sensible », pour donner l’occasion de pratiquer, de se former en s’ouvrant à différents canaux de perception et expression (les émotions, le corps, le mouvement ….)
· Les « Agoras » qui doivent permettre des dialogues autour de plusieurs thématiques
· Les moments de « Convergence » qui donnent la possibilité à différentes personnes, organisations, mouvements de pouvoir échanger et converger autour de certaines idées, initiatives, projets…
· Des moments d’ « Expression culturelle ».
Nous comptons sur vous pour diffuser cet appel et informer d’autres collectifs susceptibles de participer de cette belle aventure, initiative et à ces réunions de préparation .
Plus d’infos: contact(at)uitc.earth
Dialogues en Humanité : https://dialoguesenhumanite.org
Le Partenariat Français pour la Ville et les territoire a lancé la mobilisation francophone pour le prochain Forum Urbain Mondial organisé par ONU Habitat qui aura lieu au Caire à l’automne 2024.
Avec ses partenaires, Next Planning s’associe à cette mobilisation des acteurs et réseaux de la société civile. Si vous êtes intéressés pour rejoindre la mobilisation n’hésitez pas à nous contacter : planning(a)zaclys.net.
Article écrit par Ezgi Bakçay (collectif Karşı Sanat) et İmge Haliloğlu pour la revue Bir+Bir. 1+1 Express est un réseau d’actualités, revue et commentaires de l’association Culture et Art Bir+Bir, fondée en 2017 par le collectif 1+1, opérant depuis 1994. Le magazine 1+1 Express est publié trimestriellement en version papier et disponible en librairie. Vous pouvez lire la version turque de cet article ici. L’article a aussi été publié sur le site de Commonspolis.
Dans une période où le temps et l’espace social deviennent de plus en plus claustrophobiques, la société civile est étouffée, nous avons décidé de prendre l’air de la montagne pour regarder vers d’autres horizons. On s’est croisé avec des vieux amis des mouvements sociaux urbains qui continuent à chercher, tracer, marcher sur « les lignes d’erre en commun” pour déclencher notre imagination collective. On s’est retrouvé dans le climat inspirant des associations et des lieux indépendants dans la région de Grenoble. Depuis le cœur des Alpes, nous sommes immergées dans les idées et les pratiques par le biais d’un réseau couvrant l’ensemble du territoire français et au-delà.
A l’occasion de notre visite à l’Assemblée des Communs et des Possibles à Grenoble en France, nous avons interviewé David Gabriel Bodinier qui est un artiste-activiste impliqué depuis de nombreuses années avec des mouvements sociaux urbains qui agissent dans les quartiers populaires. Nous avons parlé des trajectoires de “commoning” dans un contexte historique, des communs, du droit à la ville et du municipalisme. Nous avons parlé ensemble du passé, de ce qui se passe aujourd’hui et de quelques idées pour le futur.
Tu es actif depuis plusieurs années dans le quartier emblématique de la Villeneuve qui fête ses 50 ans cette année et dans l’Assemblée des Communs de Grenoble.Peux-tu nous parler un peu de l’histoire de ta ville et du quartier de la Villeneuve ?
Grenoble est une ville secondaire située à une centaine de kilomètres au sud de Lyon, au cœur des Alpes françaises. On dit souvent que c’est la capitale des Alpes, car elle est vraiment située au cœur des montagnes et à la confluence de deux rivières. Il s’agit d’une petite ville mais qui a une histoire spécifique pour les mouvements sociaux. On dit parfois que la révolution française a commencé à Grenoble avec la journée des Tuiles le 7 Juin 1788 ! Tout au long du XIXème siècle, la ville a été marquée par l’industrialisation aboutissant à la création de plusieurs quartiers ouvriers, en particulier St Bruno où il subsiste encore aujourd’hui une culture d’organisation politique. Pendant la seconde guerre mondiale, Grenoble a été un lieu important pour les mouvements de résistance qui ont pris les maquis dans les montagnes entourant la ville, en particulier dans le Vercors. A partir du milieu du XXème siècle, la ville est devenue un grand centre universitaire avec de nombreuses institutions de recherche. Toute cette histoire a créé une ambiance spécifique pour une ville de cette taille.
Depuis les années 60, Grenoble est devenue laboratoire politique pour la nouvelle gauche. Les groupes d’action municipale (GAM) ont remporté les élections en 1965 avec l’idée d’une réappropriation des institutions municipales par les citoyens. Ils voulaient que les habitants participent à la gestion de la ville face au pouvoir de l’Etat. Cette stratégie politique a permis de transmettre la tradition du municipalisme où les mouvements sociaux cherchent à contester le pouvoir de l’Etat à partir du pouvoir des villes. Les groupes d’action municipale cherchaient d’abord à transformer le quotidien des habitants à travers de nouvelles politiques urbaines. Ils se sont notamment inspirés des théories d’Henri Lefebvre pour créer un vaste projet urbain situé au sud de Grenoble qui s’appelle la Villeneuve.
La Villeneuve est le résultat de la rencontre entre les groupes d’action municipale (GAM) et une coopérative d’architecture et d’urbanisme (AUA) et des citoyens. Ensemble, ils ont essayé de réaliser une utopie à une grande échelle : plusieurs milliers de logements sociaux, des copropriétés, des nombreuses écoles autour d’un projet d’éducation alternative, des centres de santés communautaires, des centres culturels, un parc de 14 hectares, une télévision de quartier, une école d’architecture… La Villeneuve est devenue un lieu emblématique qui a beaucoup marqué l’histoire urbaine en France et les mouvements sociaux urbains.
Tu es le fondateur d’une association Next Planning créée à la Villeneuve de Grenoble. Dans quel contexte a été créée l’association ? Quel est votre lien à l’histoire de la Villeneuve ?
Next Planning a été créée dans le contexte d’un vaste mouvement d’organisation dans les quartiers populaires de Grenoble qui a débuté en 2010. Avec plusieurs activistes, nous avons commencé à discuter de la nécessité de créer de nouvelles organisations dans les quartiers populaires à la suite des révoltes urbaines entre 2005 et 2010. Nous nous sommes inspirés des méthodes d’un sociologue américain Saul Alinsky à l’origine de la tradition du community organizing à Chicago pour créer une vaste organisation qui s’appelle l’Alliance Citoyenne avec plusieurs centaines d’habitants.
Nous avons créé Next Planning à la suite de ce mouvement avec l’idée de construire un outil pour la transformation des politiques urbaines et municipales. Notre objectif est de soutenir les capacités des habitants à intervenir dans les processus de planification urbaine. Comme à l’époque des groupes d’action municipale (GAM), nous voulons une réappropriation de la ville par les citoyens et réussir à modifier les plans en se basant sur les propositions des habitants et des mouvements sociaux.
A partir de 2012, nous avons rencontré un groupe d’habitants qui luttait contre un projet de rénovation urbaine qui imposait la démolition de plusieurs immeubles de la Villeneuve. Ce groupe était réuni autour d’un ancien instituteur André Béranger qui avait participé au projet pédagogique de la Villeneuve dès les premières années. C’est à ce moment-là que nous avons découvert l’histoire de la Villeneuve qui avait été un peu oubliée. Nous avons alors commencé à travailler sur la mémoire de ce quartier pour envisager comment il était possible de lutter contre les démolitions du quartier. Nous avons créé un Atelier Populaire d’Urbanisme (APU) rassemblant des habitants, des associations, des architectes, des chercheurs (…) pour élaborer un projet alternatif à la démolition de la Villeneuve. Nos propositions ont été reprises lors des élections municipales de 2014 contribuant à l’élection d’Eric Piolle autour d’un nouveau rassemblement des citoyens de la gauche et des écologistes.
C’est à partir de ces années-là que l’on commence à parler du “nouveau municipalisme” avec des expériences qui émergent dans plusieurs villes dans le monde, en particulier suite au mouvement d’occupation des places. Quel est le lien avec le mouvement des places et les expériences municipalistes qui ont émergé, par exemple, en Catalogne et en Espagne ?
Nous avons été très marqués par le mouvement d’occupation des places des indignés en Espagne, la place Tahrir et les révolutions arabes, le mouvement occupy aux Etats-Unis et de l’occupation du parc Gezi à Taksim. Selon notre perspective, ces mouvements s’inscrivaient dans le prolongement du mouvement altermondialiste et des forums sociaux. En France, il a fallu attendre le printemps 2016 pour voir l’émergence du mouvement Nuit Debout. A Grenoble, nous avons occupé pendant deux mois le parvis de la Maison de la Culture (MC2) qui est un espace public entre le centre ville et les quartiers populaires, dont la Villeneuve.
Pendant les deux mois de l’occupation, nous avons eu beaucoup de temps pour discuter de nos stratégies politiques. Lors des assemblées, dans les commissions ou pendant la nuit sous les tentes, nous discutions de l’importance de continuer à soutenir les luttes pour le logement, l’auto-organisation dans les quartiers populaires, la défense des communs mais aussi des stratégies de réappropriation des institutions municipales. C’est à la suite de cette occupation que nous avons créé l’Assemblée des Communs de Grenoble.
En 2017, nous avons eu l’opportunité de participer au premier sommet municipaliste Fearless Cities à Barcelone à l’initiative de la plateforme « Barcelona en Comú« .Dans une époque marquée par le retour des autoritarismes, ce rassemblement des « villes sans peur » visait à transformer la façon de faire de la politique en partant du bas. Le mouvement s’inscrivait dans la perspective d’un « nouveau municipalisme » en s’inspirant du philosophe et écologiste Murray Bookchin.. Nous avons commencé à échanger sur nos expériences respectives et à discuter en profondeur les stratégies de réappropriation des institutions municipales. Un certain nombre de participants ont poursuivi les échanges lors de l’assemblée européenne des communs à Madrid qui a été organisée plusieurs mois plus tard. Toutes ces rencontres ont contribué à bâtir une alliance entre les mouvements d’habitants du droit à la Ville, les mouvements communs et le municipalisme à l’échelle européenne. Nos échanges transnationaux ont permis d’inscrire les stratégies municipalistes dans le temps long car la réappropriation des institutions municipales face au pouvoir de l’Etat est un phénomène qui s’est répété à travers l’histoire dans de nombreux pays.
En Turquie, l’opposition sociale,qui est devenue beaucoup plus fragile dans la période antidémocratique vécue après l’occupation du parc Gezi, discute des perspectives ouvertes par les élections municipales de Istanbul 2019 qui pourraient aller plus loin avec la possibilité d’un changement politique en 2023. C’est pourquoi les échanges avec les expériences menées en Espagne, en France, en Italie ou ailleurs sont importants à la veille de l’élection présidentielle. Tu as cité les Assemblées des Communs, où nous étions invités. Peux-tu nous en dire plus ? Comment ces assemblées s’organisent et quelles sont les méthodes ?
Les Assemblées des Communs rassemblent des personnes et organisations impliquées dans les communs pour échanger sur nos pratiques et défendre un agenda politique. C’est un outil politique qui essaye de créer de nouvelles pratiques politiques dans les territoires. Au début, nous avons commencé à discuter de nos pratiques d’occupation des places, des espaces alternatifs et des quartiers comme par exemple, le soutien aux habitants de la Villeneuve face à la démolition de leur quartier. Puis, nous avons élargi la discussion à la défense des communs naturels – des rivières, les forêts, les montagnes, les champs (…) et des communs immatériels – nos pratiques culturelles, numériques, connaissances, mémoires…
Les assemblées visent à renforcer nos pratiques de « commoning » en s’organisant de façon horizontale dans les territoires. Nous essayons d’avoir des formes d’organisation qui permettent de gérer nos ressources de manière démocratique, y compris en essayant de remettre en cause les rapports de pouvoir et domination qu’il peut y avoir au sein de nos communautés. Nous voulons être attentifs à ce que chacun puisse participer aux assemblées des communs et apprendre des différentes pratiques d’auto-organisation. Par exemple, lors de la dernière assemblée, nous avons beaucoup appris des pratiques des tables de quartier, qui sont des formes d’organisation des habitants dans les quartiers populaires.
L’une des spécificités de l’assemblée des communs de Grenoble, c’est que la municipalité de Grenoble participe à l’assemblée. Cela suscite beaucoup de débat mais nous trouvons cette situation intéressante. Dans l’assemblée, la municipalité a une voix comme une autre organisation politique. Ni plus, ni moins. Donc, il faut être clair : ce n’est pas la ville de Grenoble qui dirige l’assemblée des communs et les mouvements gardent leur autonomie. Pour les personnes qui travaillent pour la municipalité ce n’est pas toujours facile ! Nous essayons de changer la position des institutions municipales vis-à-vis des mouvements sociaux, tout cela dans un cadre ouvert et convivial. Dans nos assemblées, on discute, on mange ensemble et on fait la fête (rire) !
C’était une réunion qui n’était pas encadrée d’avance mais qui était organisée in-situ à partir de la présence et les exigences des participants. On a remarqué qu’avec les fréquentations successives des années, l’assemblée a créé une communauté. Les participants sont déjà en train de travailler ensemble sur leurs problèmes locaux. Qui était les participants de la dernière assemblée des communs et des possibles et quels étaient les thèmes de discussion?
L’assemblée forme une constellation de groupes très différents avec des activistes, des associations, des artistes, des chercheurs (…) par exemple des représentants d’un espace alternatif qui s’appelle “Le Lieu” qui est dédié aux personnes sans logement pour qu’ils puissent avoir un lieu dans la ville pour se poser, discuter, s’organiser pour défendre leurs droits… D’autres participants sont impliqués dans les tables de quartier qui sont des groupes auto-organisés d’habitants dans les quartiers populaires. Il y a également des associations qui défendent la rivière, des personnes impliquées dans les communs fonciers qui participent à la gestion des ressources naturelles, des chercheurs, des juristes qui s’intéressent aux communs et des artistes pour s’ouvrir à de nouvelles sensibilités et à de nouveaux imaginaires à travers les communs.
Durant l’assemblée des communs et des possibles, nous avons discuté autour de l’idée de l’anthropocène, même si ce n’est pas évident de construire un langage commun entre toutes significations scientifiques, politiques et artistiques liées à la lutte contre le changement climatique. Nous essayons de créer de nouvelles convergences entre les communs urbains et des communs dans les espaces naturels. A Grenoble, nous avons beaucoup de montagnes et des espaces fonciers qui sont des communs, par exemple les “sections de commune” qui ne sont pas gérés par l’Etat ou des propriétaires privés mais qui sont gérés en commun.
Nous avons également discuté des communs dans un contexte transnational, comme les liens que nous pouvons établir avec les artistes et les activistes en Italie, en Espagne, en Turquie…l y a toujours eu de nombreux échanges translocaux dans l’histoire mais aujourd’hui l’échelle et la vitesse des circulations sont de plus en plus importantes avec de multiples influences réciproques.
Notre génération est en train d’expérimenter de nouvelles radicalités politiques et démocratiques. Les mouvements sont devenus très exigeants dans la façon de s’organiser au niveau infrapolitique. Il y a une profonde influence des mouvements féministes qui ont remis en cause des statuts de pouvoir, des façons de parler, des attitudes. Il y a également de nouvelles connaissances et de nouvelles pratiques qui se développent avec plus de sensibilité et d’ouverture, y compris aux non-humains. Nous ressentons plus grande prise en compte des plantes, des animaux, des plantes, du climat. Nous avons par exemple beaucoup parlé lors de la dernière assemblée des rivières dans notre région. Comment peuvent-elles se défendre ? La rivière peut-elle parler ? Les écrivains et les artistes ont beaucoup à nous apprendre car un certain nombre d’entre eux peuvent retranscrire ce qu’exprime la rivière.
La Villeneuve.
Pour pouvoir concrétiser vos pratiques, pendant la pandémie qu’elles ont été les solidarités qui ont été créées par les mouvements et associations ?
Notre première stratégie est de renforcer nos bases sociales. En France, après les révoltes des quartiers populaires, nous avons commencé à soutenir des processus d’organisation des habitants dans les quartiers populaires. Nous avons commencé par créer des relations avec des personnes qui n’étaient pas du tout activistes et qui essayaient juste de se défendre face à des problèmes quotidiens, du logement, des problèmes économiques, les difficultés éducatives…
Ces pratiques se sont renforcées pendant la pandémie où il y a eu beaucoup d’actions d’entraide et de solidarité autour d’actions très concrètes sur l’alimentation, la défense des conditions de logement, le soutien aux personnes âgées ou aux enfants. Nous avons essayé de reconstruire nos pratiques politiques à partir de dimensions très concrètes de la vie quotidienne pour ne pas rester au niveau des grandes théories conceptuelles du rapport à l’Etat, aux multinationales et au capitalisme, même si elles sont aussi importantes.
Pour concrétiser, nous essayons de créer des organisations avec l’ensemble des couches de la société pour être au plus près de la société et éviter de constituer des petits groupes isolés. Nous avons besoin d’être nombreux pour faire face aux autres forces qui traversent la société, en particulier l’extrême droite. Depuis plusieurs années, les pays européens sont traversés par des mouvements d’extrême droite et nous avons un défi très important d’éviter leur prise de pouvoir. L’extrême droite est récemment arrivé au pouvoir en Italie et cette situation peut arriver partout.
Ensuite notre stratégie est de prendre les institutions municipales pour contester le pouvoir de l’Etat.
Nous arrivons à un point crucial de notre interview. Comment vous arrivez à travailler avec les municipalités ? Ici, c’est une grande question car nous devons rendre la communication plus efficace et les processus plus participatifs. Quelle est ton expérience?
Les relations avec les municipalités sont toujours difficiles car ce sont des institutions qui héritent d’un fonctionnement hiérarchique qui est souvent assez éloigné des pratiques des mouvements sociaux. Les municipalités ont un fonctionnement centralisé autour de la figure du maire, avec un petit monde qui gravite autour de nombreux services municipaux, des techniciens, divers intérêts… C’est justement ce fonctionnement que nous essayons de transformer avec le nouveau municipalisme. En Espagne, la plateforme « Barcelona en Commun » a commencé à développer une nouvelle culture politique au sein des municipalité en associant les associations, les citoyens, les mouvements sociaux à la définition des nouvelles politiques municipales. Notre défi est de réussir à transformer les municipalités à partir des pratiques que nous avons développées lors des occupations des places avec les assemblées démocratiques. Après le mouvement d’occupation des places, il y a un mouvement d’occupation des municipalités pour pouvoir les transformer.
Je peux essayer d’illustrer mon propos par une image. A Grenoble, le maire Eric Piolle était présent lors du mouvement d’occupation de l’espace public devant la Maison de la Culture. Il a participé à une assemblée comme tous les autres citoyens. Il était venu écouter ce qu’avaient à dire les habitant-es qui étaient réunis en assemblée, y compris les critiques des politiques qu’il peut mener. Nous voulons nous réapproprier les institutions municipales tout en gardant notre liberté de parole, nos façons de faire, notre autonomie politique et nos principes d’auto-organisation pour décider du futur de la ville.
Nous avons beaucoup parlé de ce qui se passe à Grenoble mais il y a des mouvements similaires à Marseille, Lyon et dans d’autres villes françaises. Tu peux nous parler des liens avec les communautés dans les différentes villes?
Nous avons tissé un réseau entre les différents mouvements d’habitants qui agissent pour les communs, le droit à la ville et le municipalisme. Par exemple à Marseille, il existe un mouvement très important d’organisation des habitants. Suite à l’effondrement de plusieurs immeubles dans le quartier de Noailles, les habitants se sont rassemblés et ont organisé des manifestations pour défendre le droit à la ville. Lors des dernières élections municipales, ce mouvement a fini par produire des changements politiques. Les habitants ont commencé à se réapproprier les institutions municipales. A Lyon, à Poitiers, à Strasbourg et dans de nombreuses petites villes, il y a eu également des changements du pouvoir à l’échelle municipale. A chaque fois, il y a une certaine spécificité car les mouvements d’habitants sont très liés au contexte et à la mémoire de chaque ville. C’est pourquoi nous pensons qu’il est très important de transmettre les histoires passées car elles ont un impact dans le présent. Le réseau municipaliste français est assez important, même s’il n’est pas forcément connu à l’étranger où l’on a tendance à s’intéresser uniquement à la politique nationale autour de la domination politique d’Emmanuel Macron. Il est intéressant de constater qu’il y a également des mouvements similaires dans d’autres pays européens en Espagne, en Italie, dans les Balkans et dans plusieurs continents. Et nous espérons que les changements municipaux qui ont eu lieu en Turquie, en particulier à Istanbul, sont annonciateurs de changement à l’échelle de l’Etat ! On vous soutient fort !
En parlant de mémoire, je me rappelle que pendant l’Assemblée, l’un des points les plus importants a été de parler du passé comme un commun. Tu nous avais parlé de l’histoire de André Béranger à la Villeneuve, de son adieu et de la communauté.
Cette histoire a été racontée lors de la dernière assemblée des communs et des possibles, j’ai eu la chance de rencontrer André Béranger quand il a commencé à se mobiliser face à la destruction de la Villeneuve. Il était très attaché à ce quartier où il s’était impliqué dans le projet pédagogique des écoles de la Villeneuve dans les années 70. Face au projet de démolition, nous avons fait du porte à porte pour alerter les voisins, organiser des réunions publiques, installer des banderoles dans le quartier… Quand j’allais chez lui, il m’expliquait longuement le projet politique de la Villeneuve et des groupes d’action municipale. Malheureusement, suite à une maladie pendant la crise du COVID19, sa famille nous a envoyé un message nous disant qu’il allait très mal et en nous invitant à se rassembler en bas de chez lui. Malgré le confinement et le couvre feu, nous nous sommes retrouvés à plus de 200 personnes avec une batukada, une chorale, des bougies pour lui rendre hommage… André est alors venu nous saluer une dernière fois depuis sa fenêtre. Il est décédé le lendemain. C’était un moment très fort où nous avons formé une communauté. Tout au long de sa vie, André Béranger s’est impliqué pour vivre ensemble dans un quartier, et faire face aux aléas de la vie. La veille de sa mort, la communauté était réunie autour de lui. Pour moi, ce moment a de profondes significations sur ce que veut dire “faire communauté”, surtout après la crise du COVID19. Nous continuons d’agir aussi grâce aux personnes qui ne sont plus là. D’une certaine manière, elles sont encore présentes à travers nous et elles nous invitent à continuer d’y croire, à ne pas se décourager. Cette conversation sur le lien entre la communauté des présents et des absents a été l’un des moments les plus forts de l’assemblée des communs.
Juste pour terminer, dans le titre nous avons parlé des lignes d’erre. Qu’est ce que ça veut dire ligne d’erre pour toi?
C’est une expression de Fernand Deligny. C’était un éducateur, écrivain, réalisateur qui travaillait avec la jeunesse délinquante, notamment des centres éducatifs fermés où il imaginait des projets d’évasion, et il a terminé sa vie en travaillant avec des enfants autistes dans les montagnes des Cévennes en France. Il avait organisé plusieurs villages où les enfants vivaient en communauté. Les enfants avaient la liberté d’aller là où ils avaient envie pour réaliser leurs activités quotidiennes. A la fin de la journée, les adultes traçaient les lignes de leur trajet sur des grandes feuilles. Pour moi, les lignes d’erre sont des lignes de liberté permettant d’aller au-delà des contraintes de la société pour explorer de nouveaux horizons. L’errance c’est un façon de se perdre, de s’égarer, en dehors des sentiers battus, des chemins qui ont été tracés par les pouvoirs qui cherchent à nous contraindre, y compris par les pouvoirs technologiques. Il s’agit de trouver des chemins de traverse pour vivre autrement, avec les personnes que nous avons envie de vivre. L’assemblée des communs et des possibles s’inscrit dans cette recherche. Nous avons organisé la dernière assemblée dans la montagne pour explorer de nouveaux lieux, là où nous n’avons pas forcément l’habitude d’aller. Dans ces endroits, nous pouvons créer de nouveaux espaces de liberté. Ces lignes d’errance vont pouvoir nous emmener partout dans le monde et, je l’espère, en Turquie !
Pendant l’assemblée des communs et des possibles de Grenoble le 10-13 Novembre 2022, nous avons décidé d’organiser des workshops sur les communs à Marseille, à Naples, à Istanbul enfin à Mardin. On va essayer de passer ces lignes d’errance sur la Turquie aussi avec différents acteurs, d’autres participants, élargir la carte de communauté vers les nouveaux contextes sociaux. Merci de partager avec nous ces expériences.
Note de la revue
Chers ami-e-s, les 28 années d’archives de nos revues Express, Rolls et Bir+Bir sont enfin disponibles en format numérique. L’hebdomadaire Express a commencé sa publication en janvier 1994 avec le slogan « un monde sans classe et sans exploitation » en étant toujours indépendant des pouvoirs économiques, partis politiques ou organisations non gouvernementales. Il s’est poursuivi jusqu’à la fin de 2022 avec des périodes hebdomadaires, bi-mensuelles, mensuelles et trimestrielles, en tant que publication gérée sans patron, sans hiérarchie, et protégeant pleinement son indépendance éditoriale. Les revues Roll et Meşin Yuvarlak ont rejoint la caravane en 1996 et Bir+Bir en 2010. Plus de 500 exemplaires du magazine sont en cours de transfert vers le site birartibir.org. L’accès à tous les numéros est ouvert. Mais si vous le souhaitez, vous pouvez contribuer en publiant sur birartibir.org que ce soit de manière ponctuelle, quand vous en avez envie ou régulièrement. Vous pouvez effectuer un virement direct sur le compte de l’association Bir+Bir Culture et Art avec la mention « don de l’association » (voir les coordonnées bancaires ci-dessous) ou vous pouvez utiliser ce lien pour les transactions par carte :
Coordonnées bancaires : BİR BİR KÜLTÜR SANAT DERNEĞİ/ TR62 0006 7010 0000 0056 6228 29 / Yapı Kredi Bankası, Cihangir Şubesi (069) / SWIFT Kodu (EUR, USD): YAPITRISXXX / SWIFT Kodu (Diğer döviz cinsleri): YAPITRISFEX
Villeneuve Plage est un événement qui se déroule chaque été au sein du Parc Jean Verlhac de la Villeneuve de Grenoble qui consiste à se réapproprier l’espace public à travers des activités culturelles, éducatives, festives et conviviales.
En 2023, Villeneuve Plage continue de s’inscrire dans la dynamique des 50 ans de la Villeneuve. Une réunion de préparation est prévue au mois de mars 2023. Rejoignez-nous en remplissant le framadate : https://framadate.org/7qW8IEupPnY8dXrp
Cet évènement initié par l’Atelier Populaire d’urbanisme (APU) est porté par le collectif inter associatif Villeneuve Debout. Il est rendu possible grâce à une démarche participative favorisant l’implication des partenaires, habitants et associations pour organiser des activités en soirée et week-ends qui s’adressent à tous les publics mixtes et intergénérationnelles.
Les animations qui se déroulent durant l’été se font essentiellement en direction des enfants et des jeunes. Les personnes qui ne partent pas en vacances investissent les abords du lac et il est possible selon nos expériences antérieures de lancer à ces moments-là des actions éducatives ludiques et artistiques qui peuvent satisfaire tout le monde.
« Villeneuve Plage » vise donc à mettre en évidence les capacités du Parc de la Villeneuve à offrir un cadre d’animation autour du lac et des jeux d’eau et répondre aux absences d’offre d’animation pendant les week-ends d’été. Ce dispositif souhaite rendre le parc Jean Verlhac attractif au point d’espérer le faire entrer dans le dispositif de la ville de Grenoble « l’été oh parc » pour qu’il devienne « l’été AUX parcs » (c’est le cas depuis 2021) !
Appel à mobilisation pour dire non à la proposition de loi « anti-squat » qui criminalise les locataires en difficultés et les occupants de logements et bâtiments vides.
Des associations appellent à une mobilisation le 28 janvier dans toute la France. Participer aux actions dans votre ville ! Toutes les infos pour les manifestations sur https://www.selogernestpasuncrime.org/
Le texte de loi va pouvoir condamner à trois ans de prison tout squat de local d’habitation, y compris s’il est totalement abandonné, mais aussi de locaux « à usage économique » (hangar, entrepôt, usine, grange, bureaux désaffectés)
A Grenoble, la manifestation samedi 28 janvier partira à 14h de Félix Poulat, contre le projet de loi criminel dite « Kasbarian », qui va s’attaquer aux plus précaires: squatters, sans-logis, locataires endettés… mais aussi les accédants à la propriété surrendettés et les grévistes !!
Fidèle à sa longue tradition municipaliste, Grenoble était pendant trois jours l’épicentre d’un vaste réseau réunissant des élus municipaux, activistes, techniciens, experts et chercheurs visant à renforcer la démocratie locale.
Du 7 au 10 décembre 2022, plusieurs centaines de personnes ont participé à des conférences, débats et ateliers des 21ème rencontre de l’observatoire international de la démocratie participative (OIDP) venant conclure en beauté une année particulièrement riche d’évènements organisés dans le cadre de « Grenoble Capitale Verte 2022 ». Devant la profusion d’activités organisés avec l’OIDP, il n’est pas facile de donner une image d’ensemble, mais nous allons partager ici quelques aperçus de cette constellation qui œuvre pour la démocratie avec une perspective municipaliste.
Le ton a été donnée par la soirée d’ouverture organisée à la Maison de la Culture de Grenoble. Au delà des discours protocolaires, l’intervention du secrétaire générale a posé clairement les enjeux démocratiques de l’autonomie des autorités locales dans un contexte international marqué par des restrictions de libertés et la persistance des états autoritaires. Le débat animé par l’excellente chercheure Marion Carrel s’est ensuite interrogée sur l’articulation avec les mouvements sociaux et l’enjeu de la prise de décision. Le public a eu l’occasion exceptionnelle d’entendre les récits du Garçon Almedia de Porto Alegre, de la présidente de l’assemblée constituante du Chili et Magali et la députée au parlement de Bruxelles Capitale. La démocratie locale est debout pour défendre la démocratie.
La seconde journée a débuté par une conversation intitulée « des tranchées aux avenues de la démocratie participative » animé par Yves Cabannes avec Giovanni Allegretti, Garçon Almedia, Gilles Dumas (…). La réflexion portait sur le cercle vertueux de l’alliance entre mouvements sociaux et municipalités : les combats des organisations d’habitants finissent par transformer le contexte socio-politique des autorités locales qui à leur tour mènent des politiques publiques qui renforcent les alternatives. Il est toujours passionnant de découvrir ou réentendre des grandes figures de la démocratie locale présenter la multitude d’alternatives : coopérative d’habitants, organismes fonciers, monnaies locale… J’ai toutefois été surpris que ces récits ne soient pas articulés avec les principales stratégies des dix dernières années : l’intersectionalité, l’occupation des places, des centres culturels, et des pratiques de commoning du « nouveau » municipalisme. Surtout, le débat n’a pas réussi à dépasser la transmission du récit de la démocratie locale depuis Porto Alegre pour construire des stratégies pour le présent. Cette difficulté de dépasser la succession de présentation d’expérience était également présente lors du second débat sur le climat et la démocratie locale.
Avec plus de soixante ateliers, les échanges d’expériences ont rythmé la seconde journée. Dans ces ateliers, les collectivités locales viennent présenter des bonnes pratiques, des professionnels parlent de leurs méthodes, des chercheurs contribuent avec leurs analyses (…) mais le plus souvent les habitants sont absents ! Alors que les organisations d’habitants ne cessent de répéter « ce qui se fait pour nous, sans nous, se fait le plus souvent contre nous », c’est quand même un comble pour un sommet pour la démocratie participative ! Bien sur qu’il n’est pas facile de résoudre cette contradiction mais nous penssons que les organisateurs des rencontres de l’OIDP et les municipalités devraient faire plus d’effort pour soutenir la participation des organisations d’habitants pour corriger l’image trop institutionnelle des rencontres de l’OIDP.
Deux activités ont particulièrement marqué les XXIème rencontres de l’OIDP.
La rencontre intitulée « Le municipalisme féministe : quelles approches pour l’action locale ? » était organisée par Amanda Flety de la commission inclusion social et droits humains de CGLU. Les présentations des maires de Villa Alemana (Chili), Iztapalapa (Mexique) et d’une représetante du bureau des femmes de Jezireh (Syrie) ont témoigné de la profonde transformation de la démocratie locale et de l’amélioration des conditions de vie de leurs habitants à partir d’une perspective féministe. Cette rencontre a été égament été marquée par la présence de la co-présidente du département des autorités locales et de l’écologie de la région de Jezireh (Syrie) dans le cadre du réseau de solidarité internatinoal « JASMINES » (Jalon et actions de solidarité. Municipalisme et internationalisme avec le Nord-Est de la Syrie) impulsé par la Fondation Danielle Mitterand.
La rencontre « Démocraties sous surveillance : Résistance face aux rétrécissements démocratiques » animé par le chercheur français Julien Talpin s’interrogeait sur le rôle des villes et des collectifs citoyens dans la défense de la démocratie locale. Les interventions de Med Wajdi Aydi, maire de Sfax (Tunisie), Jules Dumas Nguebou (Cameroun), Savaş Zafer Şahin de l’assemblée citoyenne d’Ankara (Turquie) et d’Alexandrina Najmowicz de l’European Civic Forum et Adrien Roux pour l’observatoire des libertés associatives explorait dans quelle mesure les villes peuvent contrebalancer les politiques répressives au niveau national en Europe et dans des régimes autoritaires.
Cette rencontre était particulièrement pertinente au regard du contexte actuel de menace sur la démocratie. Alors que la prochaine conférence aura lieu en 2023 à Rio de Janeiro (Brésil), l’ensemble du réseau de défenseurs de la démocratie locale devraient se tourner sur les enjeux cruciaux des prochaines années en particulier à l’est de l’Europe et dans le Moyen-Orient pour soutenir les défenseurs des droits humains et soutenir les pouvoirs municipaux dans les pays de la région.
Le second jour de l’Assemblée des Communs, une longue traversée du nord de Marseille était prévue à la rencontre de lieux et d’initiatives qui participent à la défense et le développement de communs dans le territoire. Dès le trajet en bus entre les quartiers de la Joliette et de l’Estaque, nous avons observé la coupure qui existe entre la ville et la façade maritime au nord de la Ville. Sur plusieurs kilomètres, les quartiers sont coupés de la mer par le port autonome et l’autoroute A55. Tout au long de la journée, nous avons traversé des vastes zones où sont juxtaposés des habitations, des infrastructures économiques, portuaires, logistiques et commerciales et des terrains en friches réappropriés par les habitant.es permettant l’émergence de communs urbains dans cette vaste zone caractérisé par la fragmentation socio-spatiale de la métropole.
La balade a débuté à l’Estaque, un quartier situé au nord-ouest de Marseille au pied du massif de la Nerthe et de la zone littorale du bassin de Séon. Ce littoral e marqué par plusieurs vagues d’industrialisation au XIXème et surtout au Xxème siècle qui a profondément transformé le paysage et engendré d’importantes pollutions (en particulier les carrières des Riaux et de la Caudelette). Le port de lave sert à l’appareillage de petits bateaux, d’atelier de déconstruction, de parking, de lieu de pêche et de balade. C’est là qu’un tiers-lieu maritime Thalassanté s’est installé depuis 21 ans pour défendre un accès à la mer pour tous. Composé de conteneurs aménagés en atelier, bar et bibliothèque (…), son agencement a généré des petits espaces communs, des terrasses où l’on peut admirer le golfe de Marseille et une petite place centrale où sont entreposés quelques bateaux. Ce lieu est aujourd’hui menacé d’expulsion alors qu’il favorise des usages populaires du bord de mer dans une zone exclusivement dédiée aux activités du port autonome.
Des habitants ont témoigné de l’ampleur des défis pour les communs à l’époque de l’anthropocène. Les communs sont situées à différentes échelles : le tiers-lieu, le port de la lave, l’Estaque, le massif de la Nerthe (…) et la propriété foncière est divisée entre des grands acteurs privés et publics, avec des scènes de négociation dans les instances opaques du Grand port maritime de Marseille. Un scénario pro-commun serait de renforcer les usages actuels créant une dynamique collective pour élaborer un projet d’aménagement alternatif qui défendent les communs, la biodiversité, le droit à la ville et les usages populaires du littoral dans les documents de planification urbaine et territoriale (PLUI, PADD…). Si le rapport de force est suffisant, des négociations avec le printemps marseillais viserait à transformer les politiques urbaines locales qui projettent à moyen terme une mutation urbaine du secteur avec l’installation d’équipements culturels et touristiques favorisant des programmes immobiliers. Pour éviter une gentrification grimpante, le plan d’aménagement des espaces publics devra être accompagné par une régulation du logement avec un taux de logement social et des coopératives d’auto-réhabilitation. La question épineuse des pollutions de la colline de la Nerthe pourrait être envisagé sous l’angle des « communs négatifs ». En suivant la proposition d’Alexandre Monnin et de Lionel Maurel, il s’agirait de bâtir de nouvelles institutions pour se réapprorpier collectivement le processus de dépollution en cours par les société Recyclex et Rétia.
Nous avons ensuite commencé notre traversée du nord de Marseille, en se faufilant dans les rues de l’Estaque, par la montée Antoine Castejon qui longe le petit ruisseau des Rioux. Des conversations se sont engagées par petits groupes. Quelqu’un a évoqué la fabuleuse « Histoire d’un ruisseau » d’Elisée Reclus : « l’Histoire d’un ruisseau, même celui qui naît et se perd dans la mousse, est l’histoire de l’infini. Ces gouttelettes qui scintillent ont traversé le granit, le calcaire et l’argile ; elles ont été neige sur la froide montagne, molécule de valeur dans la nuée, branche écume sur la crête des flots (…). Au bord du ruisseau, des petites maisons ont été construites dans la pente selon un mode de construction vernaculaire, loin des contraintes de l’alignement et de l’adressage imposées par la planification urbaine. Au delà des murs, on imagine bien ces petites courettes où les habitants ont pu avoir l’habitude de se retrouver pour tchatcher et s’entraider, qui est certainement une image d’Épinal forgé par les contes cinématographiques de Robert Guédiguian.
Nous avons rejoint le quartier de l’Estaque Gare en bus pour se retrouver dans une petite cour de l’Harmonie de l’Estaque. Une discussion s’est ouverte sur la première industrialisation qui a transformé le village de pêcheur pour implanter des tuileries et briqueteries sur le site argileux du bassin de Séon et l’exploitation du calcaire blanc de la Nerthe. Le territoire a été alors profondément transformé avec la création d’infrastructures ferroviaires et portuaires pour transporter les matériaux servant à la construction d’usines et des digues. L’Harmonie de l’Estaque témoigne des sociabilités ouvrières structurés par la paroisse de Saint-Henri qui se sont perpétuées en se transformant à travers le temps. Les discussions s’inscrivaient dans la continuité de la visite au musée d’histoire de la ville de Marseille sur les communs patrimoniaux. En marge du groupe, une discussion s’est ouverte sur l’histoire de la prud’hommie de l’Estaque qui pourrait faire l’objet d’une réflexion ultérieure, en lien avec les travaux passés sur le rôle des prud’homies de pêche méditerranéennes dans la défense des communs.
En remontant la pente, nous avons rencontré une habitante jouant de l’accordéon dans la traversée de l’Harmonie. C’était un petit moment magique dans cette longue traversée des quartiers nord qui a été accompagné par des brefs échanges sur le rôle de la musique pendant la période de confinement pour renforcer les liens entre voisins. Après la voie ferrée, nous avons commencé à rentrer dans la pinède menacée par la création de vaste zone de stockage de containers maritimes qui se sont développés ces dernières années. Nous avons marché jusqu’aux terrains de l’ancienne Villa Miramar qui font partis d’un legs si du sculpteur et mécène Jules Cantini à la ville de Marseille au début du Xxème siècle. Cet ancien terrain bastidaire supposé inaliénable a été cédé en 2011 à un entrepreneur industriel spécialisé dans le stockage de containers maritimes. Depuis plusieurs années, des habitants se mobilisent pour défendre ce commun et ces paysages immortalisés par les toiles de Cézanne. Les habitants du quartier l’Estaque Gare-Saint Henri ont de nombreux usages dans ce rare espace naturel entouré par les infrastructures routières, ferroviaires, maritimes et aéroportuaire. Depuis deux ans, des habitant.es se mobilisent pour défendre ce commun à partir des usages riverains s’articulant autour d’enquêtes collectives (écologiques, urbanistiques, patrimoniales….) pour interpeller les institutions publics afin modifier les zonages du Plan local d’Urbanisme (PLU) afin d’éviter l’extension de la zone industrielle et logistique6.
Nous nous sommes longuement arrêté dans les jardins de l’ancienne villa Miramar. Assis ou allongés sur des nattes, ce moment était propice à la farniente. Un délicieux repas délicieux avait été préparé par des habitant.es et associations. Après la sieste, un débat en demi-teinte s’est ouvert sur la diversité au sein de notre groupe. Après quelques échanges rugueux, la pause déjeuner s’est terminée en musique et chanson. Une façon de vivre en acte la défense des communs comme une occupation sensible, vivante et créative du territoire.
Nous avons poursuivi notre longue traversée à la lisière de la ville, là où le Massif de la Nerthe a accueilli les grands ensemble de la Castellane et de la Bricade, entrecoupé du reste de la ville par des larges infrastructures routières et ferroviaires. Nous avons pris un chemin pour rejoindre le centre commercial qui fait le lien entre les quartiers. En contre bas de Grand Littoral, nous avons rencontré des membres de l’association 3.2.1 qui accompagnent des habitantes de La Castellane dans l’écriture d’un journal. Cette initiative s’inscrit dans le projet d’éducation populaire Awannäk qui propose des activités artistiques et ludiques autour de la microédition. Dans le dernier numéro, quelques pages sont consacrées au renouvellement urbain de la Castelanne du point de vue des habitantes : « lors de la première réunion d’information, les responsables de la rénovation nous ont parlé « d’ouverture sur la ville », « d’écologie », du parc et jardin de la Jougarelle, des transports, d’activités culturelles, de santé (…) On y a cru, je me suis investie, dans tous les ateliers, dans toutes les assemblées générales. Mais on s’est aperçu ensuite que c’était surtout pour détourner notre attention de la démolition de la tour K., et des dangers de ces travaux ».
Au cours des dernières années, la publication du journal de la Baguette Magique a favorisé un processus d’auto-organisation des habitantes qui s’accompagne aujourd’hui d’une recherche-action mêlant habitantes, associations et chercheurs. Plusieurs initiatives de pédagogie sociale se sont également dévéloppées avec la création d’un terrain d’aventure pour se réapproprier l’espace public. Dans le terrain vague en dessous du centre commercial, des affiches avaient été collés sur les grands poteaux de béton tandis que des traces de craies étaient encore visibles sur des gros cailloux à côté des nattes transportés dans des caddies.
Une discussion s’est alors ouverte sur les liens entre chercheurs et les mouvements d’habitant.es. Les quartiers nords de Marseille sont marqués par la fragmentation socio-spatiale avec des quartiers d’habitat social, des résidences fermés et des maisons individuelles. Elisabeth Doré a témoigné de ses recherches menées avec Un Centre Ville Pour Tous sur la transformation de ce vaste territoire, en particulier avec la construction de très nombreuses résidences fermés. Nous avons constaté l’émergence de nouveaux communs urbains créés à l’initiative d’associations et d’habitants dans des terrains en friche, à l’ombre des grandes infrastructures industrielles et commerciales dans des quartiers en pleine rénovation urbaine. Dans quelle mesure le processus d’auto-organisation des habitants, à l’origine de la création de ces nouveaux communs urbains et la réappropriation de l’espace public par la publication d’un journal et la création de terrain d’aventure, peut transformer les projets urbains de l’agence nationale de rénovation urbaine ? Est-ce que la nouvelle municipalité du printemps marseillais peut soutenir ce processus d’auto-organisation des habitant.es pour élaborer des projets urbains qui incluent les communs urbains, la réhabilitation du logement social et des écoles et le droit à la ville ?
Cette longue traversée du nord de Marseille illustre l’importance d’élaborer de nouvelles politiques urbaines pour inverser la tendance à la fragmentation du territoire. C’est certainement à cet endroit que les démarches d’éducation populaire, d’auto-organisation et d’organisation collective ont besoin du soutien des experts et chercheurs dans des programmes de recherche-action. Pour cela, il est nécessaire de dépasser les postures extractiviste de nombreuses recherches académiques sur les quartiers populaires en inventant des tiers espaces qui se positionnent clairement aux cotés des habitants.
La balade s’est terminée dans le parc Foresta à proximité de Grand Littoral. Des vastes espaces ont été laissés vacants par une ancienne carrière d’argile qui appartenait au Marquis de la Foresta. Malgré le rachat du foncier par le promoteur Xavier Giocanti (marié à Christine Lagarde !), l’instabilité géologique d’un terrain argileux en pente a freiné l’urbanisation du site. Au fil du temps, le lieu est utilisé par les riverains pour des usages familiaux et récréatifs. Depuis cinq ans, l’association Yes We Camp a signé une convention d’occupation temporaire avec le promoteur pour favoriser la création d’activités culturels et de loisirs. Malgré les nombreuses critiques de cette alliance improbable entre un promoteur capitaliste, des associations et des habitant.es, le parc Foresta est devenu un vaste commun urbain au cœur des quartiers Nords. Cette situation n’est pas sans rappeler les droits acquis par des usagers sur des terrains privés dans l’époque pré-moderne. Aujourd’hui, le parc Foresta est dans une période de transition pour réfléchir à son avenir et sa gouvernance.
Une Assemblée des Communs a été organisée du 12 au 14 novembre 2021 à Marseille pour partager des expériences, des outils et des stratégies sur les communs. Le programme proposait d’ouvrir des chantiers qui conjuguaient des thématiques (communs fonciers, soin et santé, communs urbains…) et des enjeux tranversaux (entraide juridique, financements, recherche, expérimentations…) dans le contexte de l’anthropocène, de la mondialisation entravée et d’une crise sanitaire qui s’installe dans la durée. Cette rencontre était une évasion bienvenue dans un quotidien rythmé par les restrictions et conséquences des différentes vagues de la pandémie.
Le mouvement francophone des communs ne s’était pas réuni physiquement depuis le Commonscamp qui avait déjà eu lieu dans la cité phocéenne en Janvier 2020. Dans l’intervalle entre les deux évènements, les commoneurs-euses se sont activement impliqué.es dans des campagnes de plaidoyer lors des élections municipales, puis suivi.es attentivement les vagues vertes et citoyennes qui ont déferlées dans plusieurs métropoles françaises (Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Marseille, Tours…), des villes moyennes (Chambéry, Annecy…) et de nombreux villages (…). Parmi ces expériences du nouveau municipalisme français, la victoire du Printemps Marseillais a suscité un intérêt particulier du fait de ses liens avec les luttes urbaines et les communs. L’assemblée des communs de Marseille était ainsi l’occasion d’identifier les facteurs internes et externes, favorables et défavorables pour les communs dans ce nouveau contexte politique.
Ce document propose une restitution non exhaustive du groupe recherche de l’Assemblée des Communs. Il rend compte de deux activités organisés dans deux secteurs très différents de la ville : au centre-ville et dans les quartiers nords de Marseille. Il débute par un récit de la visite de l’histoire des luttes de Noailles au musée d’histoire de Marseille autour de l’interrogation « du patrimoine comme commun »i et du récit de la balade-atelier intitulé « Le sens de la pente » qui a été l’occasion de réfléchir en marchant aux recherches du mouvement des communs.
Rendre compte est une tâche délicate. Comment restituer sur le même plan des présentations d’expériences, des débats, des connaissances sur le territoire et autres discussions informelles ? Sans prétendre à l’exhaustivité, nous proposons de partager des présentations, des bribes de conversations, des photos, des fragments de documents récoltés, quelques anecdotes personnelles et des premières analyses sur les communs. Cette première esquisse pourra servir à un transect sensible des territoires traversées1.
Certaines discussions ont eu lieu avant même le début de l’assemblée des communs. Tout au long de la descente de la vallée du Rhône pour rejoindre Marseille depuis les Alpes, des conversations passionnantes se sont engagés sur les biens communaux et l’action des communautés locales dans la préservation de leur environnement. Ces discussions se sont poursuivis jusqu’au point de rendez-vous à Massilia Vox (un tout nouveau local associatif situé à proximité de la gare St Charles) où l’accueil et les retrouvailles avec nos ami-e-s de Marseille ont été très chaleureux.
Le patrimoine commune commun : récit des luttes urbaines de Noailles au musée d’histoire de la ville de Marseille
Quelques semaines après le troisième anniversaire des effondrements d’immeubles de la rue d’Aubagne, une visite de l’exposition sur les luttes urbaines de Noailles était organisée au musée d’histoire de la Ville de Marseille dans le cadre de l’Assemblée des Communs. A partir des témoignages du collectif Noailles Debout et de l’Hotel du Nord, l’objectif était de réaliser une micro-enquête collective et contributives sur cette histoire tragique et les mobilisations d’habitants pour réfléchir ensemble au patrimoine comme commun.
Depuis la passerelle extérieure surplombant les ruines de l’ancien port de Marseille, Julie Demuer de la coopérative de l’Hotel du Nord a débuté la visite par une présentation d’une exposition de l’opération Bourse réalisée dans les années 60 par les architectes Boileau et Labourdette pour construire 300 logemenets et un centre commercial2. Cette vaste opération urbaine d’architecture brutaliste a été effectuée sur une zone laissée vacante après plusieurs vagues successives de démolitions d’immeubles et de terrassements qui se sont succedés entre 1848 et 1911 sans jamais réussir totalement à effacer les usages populaires. Le décor était planté : la destruction des quartiers populaires du centre-ville de Marseille est un processus à appréhender dans la longue durée.
Le 5 novembre 2018, deux immeubles de la rue d’Aubagne dans le quartrier de Noailles à Marseille se sont effondrés causant la mort de huit personnes. Dans les semaines et mois qui ont suivi plus de 800 immeubles ont fait l’objet d’un arrêté de péril provoquant le déplacement de plusieurs milliers de Marseillais évacués de leurs logements.. Les évènements de la rue d’Aubagne ont exposé au grand jour l’inaction des élus de la ville de Marseille face au logement insalubre. Ce jour là, les violences invisibles du mal-logement sont devenues visibles suscitant une mobilisation de grande ampleur qui restera comme un tournant dans l’histoire de Marseille.
Le samedi 10 novembre 2018, une marche blanche a rassemblé 10 000 personnes en hommage aux huits victimes. Cette manifestation était l’expression de l’indignation du peuple marseillais face au logement insalubre mais aussi le reflet du processus d’auto-organisation des habitants. En effet, plusieurs initiatives se sont déroulées tout au long de cette folle semaine autour de l’assemblée de quartier « Agora de Noailles » qui a donné naissance au collectif du 5 Novembre – Noailles en colère « pour défendre les droits des proches des victimes et de tou.tes celles et ceux qui ont été sinistrés, évacué.es, touché.es par ce drame. ». Les effondrements de la rue d’Aubagne ont fait l’objet de nombreux articles de la presse locale et nationale, des interviews et des milliers de messages postés sur les réseaux sociaux. Parmi les initiatives médiatiques, le journal « La Marseillaise » a lancé une grande enquête citoyenne sur l’habitat indigne relayés par des associations Emmaüs Pointe-Rouge, Droit au Logement, le Donut Infolab et la Confédération Nationale du Logement et de nombreux citoyens. En quelques jours le hashtag #balancetontaudis est devenu viral permettant de signaler plusieurs centaines de logements insalubres3.
La semaine suivante, une marche de la colère est organisé en bas de la rue d’Aubagne « pour que les responsables du drame de la rue d’Aubagne et du pourrissement des habitants soient condamnés ! Marseille en deuil, Marseille en Colère ! », suivi le lendemain par un concert de soutien aux sinistrés de Noailles dans la salle du Molotov qui rassemble de nombreux artistes locaux dont Massilia Sound System, K-Rhyme Le Roi, Toko Blaze et bien d’autres.
Le 1er décembre une seconde manifestation rassemble de nouveau 10000 personnes lors d’une marche pour le droit à un logement digne pour toutes et tous. Au Vieux Port, le cortège converge avec les gilets jaunes qui participaient à son « Acte 3 » contre la politique gouvernementale. Rassemblé devant l’Hotel de Ville designé comme un symbole du pouvoir à renverser, les manifestants ont été dispersé par des grenades lacrymogènes lancées par les forces de police. Dans la plus grande confusion, des petites barricades sont alors levés sur la Canebière. Alors qu’un cortège s’était reformé dans les petites ruelles du bas de Noailles, la police a continue d’inonder le secteur de gaz en faisant ricocher les grenades sur la façade des immeubles. C’est à ce moment là, que Zineb Redouane, une habitante de Noailles de 80 ans, fut grievement blessée par des grenades alors qu’elle était en train de fermer les volets de son appartement situé au 4ème étage. Mois d’un moins après le 5 novembre, le quartier de Noailles était de nouveau frappé par un drame amplifiant la colère et la détermination des habitant.es.
Les habitants vont multiplier les actions contre l’habitat indigne pendant le mois de décembre 2018. Après l’annulation du conseil municipal du 10 décembre, les élus de la ville de Marseille seront mis sous pression lors du conseil municipal du 20 décembre. Le collectif du 5 Novembre pointe les responsabilités des élus dans le drame de la rue d’Aubagne et plus largement du logement insalubre à Marseille. La gestion de la crise est lamentable. La majorité municipalité ne prend même pas le temps de recevoir les familles des victimes et s’enferme dans le déni. L’unique réaction des pouvoirs publics a été de multiplier les arrêtés de péril et d’insalubrité engendrant l’évaculation des milliers de marseillais de leur logement. La municipalité étant incapable de gérer dignement les processus de relogement, la contestation initiale centrée sur le drame du 5 novembre va s’élargir progressivement à la question des évacuations d’immeuble. Pendant les fêtes de fin d’année, un formidable mouvement de solidarité s’organise pour soutenir les familles délogées en collectant des vêtements, produits d’hygiènes, repas (…) mais aussi créer des moments de répis pour les familles à travers des moments culturels et convivaux.
En quelques semaines, la rue d’Aubagne est devenue l’épicentre d’un vaste processus d’auto-organisation des habitant.es. Elle est redevenue un commun urbain grâce aux pratiques de commoning. Les murs de Noailles se sont recouvert d’affiches, des messages ont été peints sur les trottoirs et les façades. Les assemblées populaires ont rassemblé des centaines de personnes différentes. L’histoire tragique a donné naissance à des mouvements d’habitants animés d’une rage porteuse d’espoir et d’une volonté d’agir qui s’étend à l’échelle de la ville. La parole collective s’est structuré progressivement pour élargir les revendications du logement à la ville. La publication du « Manifeste pour une Marseille Vivante, Accueillante et Populaire » a listé une série de rendications allant de la réquisition des logements vides à la lutte contre spéculation immobilière mais aussi exigeant la rénovation des écoles, l’annulation des partenariats publics-privé (…) et la construction d’opération d’urbanisme avec les habitants. La tribune publiée dans le Monde intitulée « Nous sommes tous les enfants de Noailles » témoigne de ce processus de d’expression collective d’une parole politique.
Au printemps 2019, la question du relogement des délogés sera au cœur des négociations entre les collectifs et les pouvoirs publics. Alors que les évacuations et démolition se poursuivent, les collectifs réussissent à imposer leurs conditions dans une charte du relogement co-construite par l’Etat, la Ville de Marseille, le Collectif du 5 Novembre – Noailles en Colère, Un Centre ville pour Tous et de nombreux autres partenaires. La charte expose le cadre de mise en place des procédures pour les personnes évacuées (l’insalubrité, le péril, les modalités d’évacuations de logement) ; les dispositifs d’accompagnement des personnes évacuées, la prise en charge de leur hébergement et de leurs besoins élémentaires et la prise en compte du traumatisme psychologique qu’elles subissent, et l’ensemble des étapes vers le relogement définitif. La signature de la charte en Juillet 2019 après de longues négociations marquera une victoire des associations pour la défense des droits des habitant.es impactés.
Au bout de six mois de luttes urbaines, les associations signataires du « Manifeste pour une Marseille Vivante, Accueillante et Populaire » ont organisé les Etats Généraux de Marseille qui se sont tenus à Air-Bel et la faculté Saint Charles. Plus d’un millier de personnes se sont réunit pour affirmer que « rien n’effacera le malheur de l’effondrement de la rue d’Aubagne, le 5 Novembre 2018. Mais nous avons trouvé l’énergie de nous réunir pour élaborer de quoi non seulement désigner les responsables mais aussi dessiner un avenir désirable pour Marseille ». Ces Etats Généraux ont été une première étape dans la construction d’un changement de politique à Marseille qui a précipité la fin du règne de Gaudin et l’émergence du Printemps Marseillais lors des élections municipales en 2020.
Le patrimoine de Noailles en commun
Réuni autour de la maquette du quartier de Noailles réalisés par des étudiants en architecture, notre groupe s’est intéressé au patrimoine de Noailles comme commun et à la construction des récits sur les luttes urbaines de la rue d’Aubagne. Le processus d’auto-organisation qui s’est déroulé autour de la rue d’Aubagne a produit un nouveau lien entre les habitants et les espaces urbains réappropriés. Comme a pu l’écrire David Harvey « par leurs activités et leurs luttes quotidiennes, les individus et groupes sociaux créent le monde social de la ville, et engendrent ainsi quelquechose de commun qui constitue un cadre à l’intérieur duquel ils peuvent tous résider.4 » Il n’y a qu’un pas pour considérer le patrimoine de Noailles comme un commun. Nous parlons ici aussi bien du patrimoine urbain, tel que les rues (en premier lieu la rue d’Aubagne), les places et des immeubles (au cœur des enjeux), mais aussi tout le patrimoine immatériel engendré par la mobilisation collective (récits, images, connaissances…).
Le récit des luttes urbaines de Noailles a aujourd’hui sa place au sein du musée d’histoire de la ville de Marseille. La rencontre entre l’association Noailles Debout et la conservatrice Christine Breton a abouti à une exposition d’une collection d’objets en lien avec l’histoire des mobilisations de la rue d’Aubagne lors des journées du patrimoine 2019. Parmi ces objets, « les Chaînes » servant à cadenassées les portes des immeubles en péril ont été remis au conservateur du musée d’histoire de la ville de Marseille.
A l’occasion du premier anniversaire de l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne, les habitants ont inauguré la «place du 5 novembre ». Ce baptême de la place a été un moment fort dans la construction d’une mémoire commune et de réappropriation d’un commun urbain. Un livret a été publié pour laisser une trace de cette événement : « En décidant de donner un nom à ce carrefour, nous voulons que cette date reste à jamais inscrite dans la mémoire » (…) « il est le nom de la double place que les Marseillais ont décidé de prendre dans cette histoire pour qu’elle ne se répète plus jamais. Une place d’habitant.e.s organisées à tenir et à revendiquer ; rester dignes face à l’indigne. Une place urbaine et commune à investir et à reprendre : la rue comme le lieu de l’appropriation et de la prise de pouvoir des habitant.es sur l’histoire. » Le nom de la place a depuis été officialisé par la nouvelle municipalité en novembre 2020.
Pour Laura Spica de l’association Noailles Debout, il est important que l’histoire du 5 novembre 2018 soit écrite par les personnes qui se trouvaient à proximité du « kilomètre zéro », c’est à dire le lieu des effondrements. Le statut de personne affectée par la catastrophe produisant une légitimité politique pour s’exprimer sur l’évènement. La mise en récit des évènements a été un moyen de prendre soin des personnes impactées pour essayer de dépasser les chocs et traumatismes. Le récit n’est pas qu’une description des faits ou une analyse de l’action collective des habitant.es. mais aussi un partage des émotions liées au trauma. Une participante a témoigné que cette expérience pouvait faire écho aux pratiques de santé communautaire où les problèmes sont pris en charge par l’ensemble des ressources de la communauté. Il a également été souligné que le partage des émotions s’inscrit dans une longue tradition des luttes féministes.
Prendre place pour prendre soin
Nous avons ensuite exploré un second espace du musée d’histoire de la Ville de Marseille dédié à l’exposition des images, objets et archives des effondrements de la rue d’Aubagne. Une discussion s’est ouverte sur cette collaboration originale entre habitants, conservateurs, associations, artistes et chercheurs sur la mémoire des effondrements du 63 et 65 rue d’Aubagne. A l’initiative de la coopérative de l’Hotel du Nord, le projet « Prendre place » a été imaginé pour que « les habitants organisent leurs archives, écrivent leurs mémoires et transforment leur avenir à travers un processus de patrimonialisation ».
L’histoire du quartier de Noailles est à envisager dans un temps long. Les mobilisations de Noailles forment un patrimoine immatériel vivant qui s’est transmis au fil des années.
Laura Spica a témoigné de l’effondrement du point de la rue d’Aubagne le 5 Juillet 1867 qui a causé la mort de plusieurs ouvriers. Il faudrait également de souligner, aux cotés des capacités exceptionnelles des habitants de Noailles face à la situation dramatique, le rôle des associations comme un Centre Ville pour Tous et tant d’autres qui ont contribué au succès des mobilisations. Les connaissances acquises depuis les premières luttes à Belzunce et rue de la République ont été décisives pour favoriser l’émergence de ce mouvement pour le droit à la ville à Noailles. Ou des premières assemblées populaires organisé dès 2005 à Noailles par le mouvement la Rage du Peuple qui pointait déjà la question du logement insalubre et du droit à la ville. Dans la lignée d’Halbwachs qui a posé les fondements du lien entre la ville et la mémoire collective, un travail complémentaire pourrait être réalisé avec des chercheurs pour restituer et transmettre l’épaisseur de l’histoire de nos quartiers comme contribution au patrimoine en commun.
Pour Prosper Wanner, la convention Faro sur la valeur du patrimoine culturel pour la société permet justement que les habitants décident ce qui fait patrimoine pour eux. Grâce au réseau de la convention Faro, les luttes de Noailles peuvent être mise en perspectives aux cotés d’autres expériences à Rome, Lisbonne, Belgrade ou à Casablanca (atelier de l’observatoire). Tout comme le renforcement des liens avec les chercheurs, les alliances avec les institutions culturelles comme les musées est un enjeu stratégique pour les mouvements d’habitants qui agissent pour les communs et le droit à la ville.
Perspective des luttes urbaines à Noailles
Une nouvelle phase s’ouvre avec les projets de réhabilitation des immeubles insalubres à Noailles comme dans le reste de la ville. Dans le cadre du projet périmètre d’aménagement (PPA), plusieurs îlots ont été identifiés pour réaliser des opérations de réhabilitation exemplaire. Le projet est porté par la Métropole de Marseille mais la ville de Marseille a la délégation de la concertation pour la mise en œuvre du projet. Tout ce qui concerne le logement insalubre à Noailles est un enjeu politique très important pour la nouvelle municipalité du printemps marseillais qui est attendu au tournant sur ce sujet par les habitant.es.
A l’automne 2020, l’adjointe à l’urbanisme Mathilde Chaboche a proposé l’organisation d’atelier populaire d’urbanisme (APU) pour co-construire les projets de réhabilitation. L’association Un Centre Ville pour Tous s’est alors saisie de cette proposition pour organiser des premières APU sur la déclaration d’utilité publique – réserve foncière (DUP) de la rue d’Aubagne5 à l’automne 2021. Malgré ces initiatives, les habitant.es ne sont toujours pas officiellement reconnues comme parties prenantes du projet. La mobilisation des habitants doit donc se poursuivre pour réussir à imposer des conditions une réelle co-construction du projet urbain afin de défendre le patrimoine de Noailles comme un commun urbain.
Le rôle des chercheurs-euses est également un enjeu stratégique pour apporter un soutien aux démarches de co-construction. Il serait nécessaire d’explorer les différents outils juridiques permettant de défendre un projet de réhabilitation en faveur du patrimoine commun ; de la loi Lamy qui impose le principe de co-construction dans les projets urbains des quartiers politiques de la ville à travers les conseils citoyens à la convention Faro du Conseil de l’Europe qui permet aux habitants de défendre ce qui fait patrimoine pour eux.
1Frédéric Pousin, Audrey Marco, Valérie Bertaudière-Montès, Carole Barthélémy et Nicolas Tixier, « Le transect : outil de dialogue interdisciplinaire et de médiation », VertigO, Hors-Série n° 24, 2016.
2Jacques Henri-Labourdette, architecte – Une vie, une œuvre, éd. Gilletta-Nice-Matin, Nice, 2002, 158 p.
Des bonnes nouvelles dans la lutte pour défendre les communs de la santé à Grenoble 📢
Comme vous le savez, l’Assemblée des Communs alerte, aux cotés de nombreuses forces citoyennes et politiques, depuis de nombreuses années sur le risque de privatisation de la clinique mutualiste dans le quartier populaire de St Bruno.
Le Groupe hospitalier mutualiste est né en 1957 à Grenoble et comprend la clinique mutualiste, la clinique d’Alembert, l’institut Daniel-Hollard et la clinique de Chartreuse (Voiron). Il compte 430 lits, 200 médecins et 1 100 salariés.
La construction du premier établissement du groupe (la clinique mutualiste des Eaux-Claires) a été décidée en 1957 à l’initiative de l’union départementale des sociétés mutualistes de l’Isère. C’est un commun.
A St Bruno, la clinique mutualiste porte le nom de Daniel Hollard, conseiller municipal PSU de Grenoble entre 1965 et 1971, qui a joué un rôle important dans les groupes d’action municipale et les orientations municipalistes de la ville. Daniel Hollard a également milité pour la création des deux centres de santé communautaire au sein de la Villeneuve en 1973 qui existent toujours #droitalaville
Le 6 juillet 2020, après avoir écarté deux de ses concurrents, le groupe français Doctegestio (qui deviendra le groupe Avec, en janvier 20213) s’est emparé, par une série de manoeuvre, de l’ensemble de l’établissement et ses équipements. Cette privatisation de ce commun a suscité de de fortes oppositions à Grenoble de la part de l’Assemblée des communs, de l’Union de QUartier, de la ville de Grenoble, habitants du quartier, groupes syndicaux et politiques…
Ces derniers jours, la mobilisation s’est accélérée avec la mise en examen du fondateur et pdg du groupe AVEC. Il a été mis en examen pour « prise illégale d’intérêts par un chargé de mission de service public dans une affaire dont il assure l’administration ou la surveillance. Il est également mis en examen pour « détournement de fonds publics,
Si la victoire n’est pas encore gagnée pour un retour à une gestion en commun du groupe mutualiste, c’est une grande victoire pour les grenoblois qui s’inscrivent dans la transition de lutte contre la corruption (voir affaire Carignon dans les années 90 https://www.ici-grenoble.org/question-answer/cest-quoi-laffaire-carignon) !
L’université populaire est un lieu d’échanges et de débats qui part des ressentis des habitant.es des quartiers Sud de Grenoble. Elle a émergé dans la continuité des relations entre des chercheurs, des associations et des habitants puisqu’elle avait déjà été formulée lors du séminaire de 2014.
Alors qu’on se demandait comment concrétiser cette proposition, les attentats de Charlie Hebdo ont suscité une telle émotion qu’il était vital de mettre des mots sur les tensions qui traversaient la société.
L’objectif était de prendre en compte des dynamiques de pouvoir qui marginalisent les voix des habitants des quartiers populaires en ouvrant un espace de parole pour permettre à chacun de s’exprimer et de valoriser ses savoirs. Les soirées débats fonctionnent comme des assemblées, soigneusement préparées par des groupes de travail thématiques.
Dès les premières rencontres, l’objectif était de croiser des points de vues avec des habitants et des universitaires. «C‘était bien d’avoir des universitaires car lorsque l’on aborde des questions qui peuvent être conflictuelles comme les discriminations, la présence des chercheurs va légitimer le fait qu’il s’agit de questions pertinentes » nous a témoigné une participante.
Il est difficile d’évaluer l’impact de ces rencontres mais certains pensent qu’elles ont joué un rôle « thérapeutique » pour que les habitants puissent s’exprimer malgré le contexte très difficile de la période post-attentat : « même si le changement ne se fait pas du jour au lendemain, lorsque l’on réunit entre 40 et 90 personnes pour discuter d’un sujet, les institutions regardent ces dynamiques avec un certain intérêt, surtout lorsque la question posée est un impensé des politiques publiques ».
Les membres de l’Université Populaire de la Villeneuve ont souligné l’importance du travail commun mené entre des chercheurs et des habitants. Cette question de la posture des chercheurs avaient déjà été relevé lors du séminaire organisé en 2014 : « un sujet au cœur des débats est celui de la posture des chercheurs-enseignants et des étudiants dans le désir de travailler ensemble sur leurs représentations du quartier et inversement ».