Municipalisme et mouvements sociaux

Ce texte reprend la présentation du groupe de travail « Municipalisme et mouvements sociaux » du réseau intercoll [1].

Listes citoyennes, campagne de plaidoyer, référendum d’initiative citoyenne, confluence de partis, assemblées locales, élections sans candidat… De nombreuses initiatives émergent, à l’occasion des élections municipales de mars 2020, pour une réappropriation du politique par les citoyens. Plusieurs de ces expériences se réclament du municipalisme. Cet article propose une réflexion sur le renouveau du municipalisme, et sur son histoire, par rapport aux débats actuels sur les stratégies de transformation sociale.


Les mouvements sociaux doivent s’intéresser à la question du municipalisme.

Le nouveau municipalisme s’inscrit dans la redéfinition de la place des institutions locales et municipales dans les stratégies de transformation des sociétés. Nous partons d’une approche du nouveau municipalisme comme un ensemble de pratiques politiques et d’actions locales qui visent à la mise en place d’alternatives et d’auto-gouvernement qui partent du local dans une perspective de changement global.

Un retour sur l’histoire du municipalisme permet de remettre en perspective de nombreux débats actuels sur les stratégies de transformation sociale.

Dans toutes les civilisations, les formes de gouvernement relient des sociétés et des territoires historiquement constitués. Le politique naît du gouvernement de la Cité et l’organise. Dans le passage du féodalisme au capitalisme, les villes vont suivre une évolution qui deviendra contradictoire. La ville se libère des liens féodaux et s’érige en commune ; « l’air de la ville rend libre ». Les villes vont inventer la matrice du capitalisme et de la bourgeoisie.

Le débat est très tranché dans la première internationale. Les courants radicaux du municipalisme trouvent leurs sources dans l’histoire révolutionnaire. La transformation d’une ville capitale en « Commune », les territoires libérés pour contester et réinventer les pouvoirs par rapport aux Etats. La référence part de la Commune de Paris mais ne s’y restreint pas. C’est le cas de Petrograd en 1917, Hambourg en 1923, Barcelone en 1937. Une autre approche, « possibiliste », est celle du socialisme municipal qui allie une conception locale du socialisme avec la tradition communautaire communale illustrée par les Chartes locales du Moyen Age et les biens communautaires.

Que peut-on attendre des élections locales et des pouvoirs locaux dans une perspective de transformation sociale radicale ? On peut les considérer comme une étape pour le pouvoir d’Etat, une étape vers le pouvoir national. Progressivement, le gouvernement municipal est apparu comme une réponse à la ségrégation urbaine et au cantonnement de la classe ouvrière et des couches populaires dans les banlieues. Il s’agit alors de rechercher une amélioration des conditions de vie des couches populaires à l’échelle locale à travers, notamment, la maîtrise du foncier, la construction de logement et des services publics municipaux.

Dans la deuxième partie du 20e siècle, à la révolution urbaine liée à l’industrialisation va succéder une nouvelle révolution urbaine caractérisée par la mondialisation financière et néolibérale. L’équilibre des pouvoirs et la place des pouvoirs locaux vont être bouleversés. La décolonisation produit des villes en développement, villes informelles et des quartiers auto-construits.

Dans les années 1980, des pratiques d’autogouvernement à l’échelle communale vont se dégager. Le « municipalisme libertaire » de Murray Bookchin, et l’expérience zapatiste des Chiapas, l’expérience des budgets participatifs de Porto Alegre. D’autres réseaux cherchent à ralentir la ville, à augmenter sa résilience par des relocalisations. Les questions écologiques et démocratiques sont mises en avant.

C’est dans ce contexte qu’a émergé, depuis 2011, « le mouvement des places » dans plusieurs villes du monde. Ce mouvement renoue avec les occupations de place pendant la période 1960-1975, les « mai 68 dans le monde ». En occupant les places, les mouvements réinvestissent le centre des villes. Ils cherchent à se réapproprier les places et à s’installer dans l’espace public. Ce mouvement des places ouvre une nouvelle phase du municipalisme

Le municipalisme participe à une option stratégique face à la mondialisation néolibérale. Une stratégie municipaliste dépend des facteurs propres à chaque territoire. Pour les mouvements sociaux, tout commence généralement par des luttes locales, des actions de plaidoyer et de la construction d’alternatives concrètes. Les villes sont des lieux d’action privilégiée de la lutte contre le changement climatique. Il s’agit également de mettre en œuvre des pratiques démocratiques qui préfigurent les expériences d’autogouvernement à travers des comités de quartier et des assemblées populaires. L’un des enjeux porte sur une réappropriation des communs accompagnée par la mise en place de nouvelles gouvernances des ressources. Toutefois, les expériences municipalistes actuelles doivent prendre en compte les limites de l’action locale, en particulier le poids de la dette et les nouvelles formes de gouvernementalité. L’alliance entre mouvements sociaux et municipalités progressistes constitue une échelle pertinente pour construire des alternatives locales et utopies concrètes qui résistent à la marchandisation, la financiarisation et aux replis identitaires.

Le municipalisme permet d’envisager une transformation de « l’intérieur » et de « l’extérieur » des institutions en constituant des alliances et d’éventuelles plateformes. D’une part, le municipalisme permet d’approfondir les pratiques nécessaires d’organisation de quartier, de construction d’alternatives locales et d’autogestion. Cet enracinement local permet de reconstruire des bases sociales indispensable à tout mouvement social. D’autre part, le municipalisme permet d’envisager une transformation des politiques publiques locales qui tend vers des formes d’autogestion et d’autogouvernement. Ces enjeux de démocratie locale participent également à une redéfinition des notions de citoyenneté au-delà sans se limiter à l’échelle « nationale ».

La dimension internationale du nouveau municipalisme se retrouve dans le mouvement altermondialiste et dans les forums des autorités locales et le forum des autorités locales de périphéries qui ont accompagné les forums sociaux mondiaux depuis 2001. Par rapport aux associations internationales de villes, et notamment à Cités et Gouvernements Locaux Unis, qui en est la plus importante ; les réseaux de villes internationaux mettent en avant le droit à la ville et le choix pour une ville solidaire par rapport à la ville compétitive. Ils mettent aussi en avant l’alliance entre les autorités locales et les mouvements sociaux et citoyens.

Ce sont les réseaux internationaux de villes qui permettent d’élargir la vision et l’action des municipalités et du municipalisme. Les réseaux de ville internationaux, et aussi par grandes régions ou nationaux, permettent de resituer le local dans des approches plus larges. Ils combinent la définition d’alternatives à partir de la diversité des situations et la popularisation des propositions. L’identification des réseaux permet d’explorer les dimensions d’un programme alternatif : villes contre la dette ; le libre échange (TAFTA et CETA) ; eau ; accueil des migrants ; …

Dans un réseau il y a des villes associées qui résistent et élargissent (par exemple pour le réseau des villes hospitalières, les villes qui se contentent de se déclarer villes hospitalières) et des villes motrices qui définissent les alternatives (égalité des droits et citoyenneté de résidence)

Le municipalisme s’inscrit dans une démarche stratégique, dans l’articulation entre urgence et alternative. Dans l’urgence, les municipalités peuvent être les points d’appui des résistances par rapport aux contradictions à partir de l’orientation des services publics, des marchés publics et de l’emploi, de la citoyenneté de résidence, de l’égalité, du développement local, etc. L’inscription de ces actions dans la définition d’un projet alternatif est nécessaire pour lui donner un sens, y compris pour résister. Ce projet est celui de la transition, au sens donné auparavant, sociale, écologique et démocratique. Il se cherche à travers de nouveaux concepts, de nouvelles notions : le bien commun, la propriété sociale et collective, le buen vivir, la démocratisation de la démocratie, …

L’alliance stratégique est à construire entre les institutions locales et les mouvements sociaux et citoyens (appellations plus précises que celles de sociétés civiles ou d’associations). Elle permet d’envisager un renouvellement de l’action politique (exemple de la municipalité de Barcelone et du mouvement En comùn). L’alliance possible avec les acteurs économiques peut concerner les entreprises de l’économie sociale et solidaire, les entreprises municipales, les entreprises publiques, les entreprises locales. Autour du refus du rabattement sur la rationalité dominante « marchandiser, privatiser, financiariser » et de la mise en avant d’une démarche fondée sur le respect des droits fondamentaux.

Il s’agit de redéfinir l’articulation des échelles d’intervention dans le rapport entre les sociétés et les territoires. Au niveau local, la démocratie de proximité, les alternatives locales, les services publics, les territoires. Au niveau national, les politiques publiques, l’Etat, une large part de la citoyenneté. Au niveau des grandes régions, le culturel et la géopolitique. Au niveau mondial, le droit international, les migrations, le climat et l’hégémonie culturelle. Du point de vue des priorités et des formes, l’articulation dépend des situations et des contextes. Les situations locales et nationales gardent leur importance par rapport aux échelles régionales et mondiales.

L’interrogation porte sur la conception de la transition, celle de la priorité quasi exclusive donnée la prise du pouvoir d’Etat pour la transformation des sociétés. Elle dégage le municipalisme et l’économie sociale et solidaire de leur enfermement dans le réformisme et dans l’économie réparatrice. Sans nier l’importance des ruptures, elle rappelle l’importance du temps long. Elle donne une importance nouvelle aux pratiques alternatives et à l’émergence de rapports nouveaux dans la société actuelle.

David Gabriel Bodinier, Magali Fricaudet, Gustave Massiah, Elise Monge


P.-S.

• Ce texte reprend la présentation du groupe de travail « Municipalisme et mouvements sociaux » du réseau intercoll . Il a été rédigé par David Gabriel Bodinier, Magali Fricaudet, Gustave Massiah et Elise Monge

Webdoc sur le Commonscamp

300 personnes ont participé au premier Commonscamp organisé à Grenoble, du 22 au 26 août 2018, pendant l’université d’été rebelle et solidaire des mouvements sociaux et citoyens. Cette première édition abordait trois thématiques : les communs, le municipalisme et le droit à la ville.

Next Planning a réalisé un webdoc sur le Commonscamp avec le soutien du CRID et Remix the Commons .Ce parcours numérique vous propose de revenir sur cette expérience inédite. Découvrez des témoignages inspirants et rejoignez-nous pour les prochaines éditions !

https://uneseuleplanete.org/Le-Commonscamp-imaginer-la-ville-en-commun

Principe fondateurs de l’Alliance Internationale des Habitants

Les principes fondateurs, qui conduisent le travail de l’Alliance et constituent les règles de conduite pour tous les membres. Ils ont été adopté en 2003 à Madrid.

I. PREAMBULE

Nous, représentants : d’associations d’habitants ; de mouvements sociaux ; de communautés ; de locataires ; de propriétaires ; de sans-abri ; d’habitant de favelas ; de coopératives ; des quartiers populaires de différentes régions du monde; 
Devant faire face aux violations permanentes du droit à un logement adéquat et à une ville habitable ; 
Dans un contexte de mondialisation néo-libérale, qui privatise les services publics et les droits humains, qui augmente la ségrégation sociale, qui dégrade les relations humaines et en fait des marchandises ; 
1. Considéré que, afin de protéger nos droits à être des utilisateurs et des bâtisseurs de villes, nous ne pouvons pas nous limiter à une simple protection locale de nos revendications, alors qu’il y a des investissements immobiliers énormes, la construction d’infrastructures urbaine, le désinvestissement du secteur public en raison de la dette et des paramètres monétaires, des migrations, et des conflits qui détruisent les tissus relationnels des villes, et qui mettent en péril la sécurité de milliards de gens et la survie de la planète. 
2. Face à une telle situation et afin de construire et de fortifier les relations de solidarité, qui peuvent être efficaces et démontrer qu’un genre différent de relations humaines est possible, nous sommes résolus, dorénavant, à agir de façon coordonnée d’une manière horizontale et en toute coopération, et ce du niveau local au niveau global. 
3. Par conséquent, nous gardons à l’esprit les choses faites auparavant, les dynamiques et les initiatives développées dans divers endroits du monde, qui ont produit des déclarations et des principes que nous faisons notre, et qui ont fait l’occasion d’un moment important de synthèse et de réunion à l’occasion de la Première Assemblée des Habitants du Monde à Mexico en 2000. 
4. Nous tenons aussi compte des principes de la Convention Internationale sur les Droits Economique, Sociaux et Culturels (art.11) et de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (art.25). 

 II. LES ACTEURS

1. L’Alliance que nous promouvons aujourd’hui est placée dans cet effort collectif de même que dans le processus de l’Assemblée Mondiale des Citoyens pour un Monde Responsable et Solidaire et celui du Forum Social Mondial, dont nous adoptons la devise « Un autre Monde est Possible ». 
2. L’Alliance est un réseau d’associations de base d’habitants et de mouvements sociaux territoriaux : un mouvement interculturel, autonome, indépendant, qui s’auto-gouverne, et disponible à se coordonner avec les associations similaires qui poursuivent les mêmes buts. 

3. L’Alliance est composée d’organisations sociales et de populations indigènes, et souligne l’importance des femmes dans la lutte sociale, dans le développement et dans les initiatives populaires initiées pour diminuer la pauvreté.

4. Les organisations non gouvernementales et les institutions de professionnels qui rejoignent l’Alliance ont comme objectif d’aider et de donner un soutien technique et promotionnel aux propositions et aux initiatives approuvées par les organisations et mouvements sociaux de l’Alliance, et de mettre en place une équipe technique spécialisée à cet effet.

III. PRINCIPES

Les principes fondateurs, qui conduisent le travail de l’Alliance et constituent les règles de conduite pour tous les membres sont: 
1. L’équité des genres, le développement social et écologique mis en oeuvre par les habitants, leurs associations et leurs mouvements, et par les pouvoirs publics à partir de l’urbain. 
2. La justice sociale, un attachement actif et solidaire aux mouvements sociaux qui luttent pour un logement et un habitat approprié. 
3. La promotion, la protection des droits globaux des habitants et de la lutte pour le changement social et pour le contrôle des pouvoirs locaux, nationaux et internationaux, comme le résultat d’un effort commun avec les autres secteurs sociaux. 
4. L’unité avec les autres mouvements sociaux progressistes respectant la diversité sociale, culturelle et politique reconnue comme étant un enrichissement. 
5. La tolérance, le multiculturalisme et le respect des rythmes des habitants comme option pratique de vie quotidienne et de travail collectif. 
6. La reconnaissance par les institutions locales, nationales et internationales de processus participatifs en matière de droit au logement, à la ville et à un habitat convenable, vus comme une valeur ajoutée dans le processus de négociation en matière de planifications et de développement de politiques urbaines publiques. 
7. L’autonomie du mouvement urbain populaire des pouvoirs politiques et institutionnels, qui est diversement exprimée par sa lutte, ses demandes et son auto-gouvernement. 

IV. OBJECTIFS

L’Alliance a tracé un programme à court, moyen et à long terme afin de : 
1. Encourager les associations et mouvements d’habitants qui n’ont pas de voix au niveau international afin qu’ils puissent en avoir une, lutter et s’en saisir. 
2. Coordonner et rendre visible, force et solidarité aux activités nationales et internationales des habitants et de leurs associations. 
3. Elaborer des propositions de changement social, qui peuvent suggérer des modifications substantielles de la situation en matière de logement et de ville afin de la transformer et de la rendre viable. 
4. Se battre pour la reconnaissance, l’application et la protection du droit au logement, à la ville et à un habitat correct. 
5. Se battre pour la matérialisation sans frontières des droits économiques, sociaux, politiques et culturels des habitants. 
6. Contribuer à la recherche de modèles de développement alternatif au néo-le libéralisme et à ses conséquences négatives pour les pays du monde entier, sur base d’un nouveau rôle principal du secteur public en relation avec la société civile. 

Madrid, 12 septembre 2003 

Le Groupe Porteur
· Cesare Ottolini, Président de Unione Inquilini, Italie (Coordinateur) 
· Giuseppe la Biunda, Président de la Coopérative Coralli, Italie 
· Jean-Baptiste Eyraud, Porte parole du Droit Au Logement (DAL) France 
· Guillermo Rodríguez Curiel, Coordinateur du Front Continental des Organisations Communales (FCOC), Mexique 
· Beatriz Granillo, Représentant de la Coordination Indépendante Emiliano Zapata, Mexique 
· Pedro Franco, Représentant de la République Dominicaine 
· Roger Muro, Secrétaire Général du Groupe des Initiatives Urbaines (GIU), Pérou 
· Edmundo Fontes, Représentant de la Confédération Nationale des Associations d’Habitants (CONAM), Brésil 
· Sidiki Daff, Président du Centre de Recherche Populaire pour l’Action de la Ville (CERPAC), Sénégal
Le Groupe de Soutien Technique
· Lilia Santana, AITEC, France 
· Paul Maquet Makedonski, CENCA, Pérou 
· Walter Heredia, PROCAM, Pérou 
· Yves Cabannes, Coordinateur PGU et UN-HABITAT Amérique latine et Caraïbes