De quelles recherches les communs ont-ils besoin ? ».

Le second jour de l’Assemblée des Communs, une longue traversée du nord de Marseille était prévue à la rencontre de lieux et d’initiatives qui participent à la défense et le développement de communs dans le territoire. Dès le trajet en bus entre les quartiers de la Joliette et de l’Estaque, nous avons observé la coupure qui existe entre la ville et la façade maritime au nord de la Ville. Sur plusieurs kilomètres, les quartiers sont coupés de la mer par le port autonome et l’autoroute A55. Tout au long de la journée, nous avons traversé des vastes zones où sont juxtaposés des habitations, des infrastructures économiques, portuaires, logistiques et commerciales et des terrains en friches réappropriés par les habitant.es permettant l’émergence de communs urbains dans cette vaste zone caractérisé par la fragmentation socio-spatiale de la métropole.

La balade a débuté à l’Estaque, un quartier situé au nord-ouest de Marseille au pied du massif de la Nerthe et de la zone littorale du bassin de Séon. Ce littoral e marqué par plusieurs vagues d’industrialisation au XIXème et surtout au Xxème siècle qui a profondément transformé le paysage et engendré d’importantes pollutions (en particulier les carrières des Riaux et de la Caudelette). Le port de lave sert à l’appareillage de petits bateaux, d’atelier de déconstruction, de parking, de lieu de pêche et de balade. C’est là qu’un tiers-lieu maritime Thalassanté s’est installé depuis 21 ans pour défendre un accès à la mer pour tous. Composé de conteneurs aménagés en atelier, bar et bibliothèque (…), son agencement a généré des petits espaces communs, des terrasses où l’on peut admirer le golfe de Marseille et une petite place centrale où sont entreposés quelques bateaux. Ce lieu est aujourd’hui menacé d’expulsion alors qu’il favorise des usages populaires du bord de mer dans une zone exclusivement dédiée aux activités du port autonome.

Photo : David Gabriel – CC-by-SA 4.0

Des habitants ont témoigné de l’ampleur des défis pour les communs à l’époque de l’anthropocène. Les communs sont situées à différentes échelles : le tiers-lieu, le port de la lave, l’Estaque, le massif de la Nerthe (…) et la propriété foncière est divisée entre des grands acteurs privés et publics, avec des scènes de négociation dans les instances opaques du Grand port maritime de Marseille. Un scénario pro-commun serait de renforcer les usages actuels créant une dynamique collective pour élaborer un projet d’aménagement alternatif qui défendent les communs, la biodiversité, le droit à la ville et les usages populaires du littoral dans les documents de planification urbaine et territoriale (PLUI, PADD…). Si le rapport de force est suffisant, des négociations avec le printemps marseillais viserait à transformer les politiques urbaines locales qui projettent à moyen terme une mutation urbaine du secteur avec l’installation d’équipements culturels et touristiques favorisant des programmes immobiliers. Pour éviter une gentrification grimpante, le plan d’aménagement des espaces publics devra être accompagné par une régulation du logement avec un taux de logement social et des coopératives d’auto-réhabilitation. La question épineuse des pollutions de la colline de la Nerthe pourrait être envisagé sous l’angle des « communs négatifs ». En suivant la proposition d’Alexandre Monnin et de Lionel Maurel, il s’agirait de bâtir de nouvelles institutions pour se réapprorpier collectivement le processus de dépollution en cours par les société Recyclex et Rétia.

Nous avons ensuite commencé notre traversée du nord de Marseille, en se faufilant dans les rues de l’Estaque, par la montée Antoine Castejon qui longe le petit ruisseau des Rioux. Des conversations se sont engagées par petits groupes. Quelqu’un a évoqué la fabuleuse « Histoire d’un ruisseau » d’Elisée Reclus : « l’Histoire d’un ruisseau, même celui qui naît et se perd dans la mousse, est l’histoire de l’infini. Ces gouttelettes qui scintillent ont traversé le granit, le calcaire et l’argile ; elles ont été neige sur la froide montagne, molécule de valeur dans la nuée, branche écume sur la crête des flots (…). Au bord du ruisseau, des petites maisons ont été construites dans la pente selon un mode de construction vernaculaire, loin des contraintes de l’alignement et de l’adressage imposées par la planification urbaine. Au delà des murs, on imagine bien ces petites courettes où les habitants ont pu avoir l’habitude de se retrouver pour tchatcher et s’entraider, qui est certainement une image d’Épinal forgé par les contes cinématographiques de Robert Guédiguian.

Nous avons rejoint le quartier de l’Estaque Gare en bus pour se retrouver dans une petite cour de l’Harmonie de l’Estaque. Une discussion s’est ouverte sur la première industrialisation qui a transformé le village de pêcheur pour implanter des tuileries et briqueteries sur le site argileux du bassin de Séon et l’exploitation du calcaire blanc de la Nerthe. Le territoire a été alors profondément transformé avec la création d’infrastructures ferroviaires et portuaires pour transporter les matériaux servant à la construction d’usines et des digues. L’Harmonie de l’Estaque témoigne des sociabilités ouvrières structurés par la paroisse de Saint-Henri qui se sont perpétuées en se transformant à travers le temps. Les discussions s’inscrivaient dans la continuité de la visite au musée d’histoire de la ville de Marseille sur les communs patrimoniaux. En marge du groupe, une discussion s’est ouverte sur l’histoire de la prud’hommie de l’Estaque qui pourrait faire l’objet d’une réflexion ultérieure, en lien avec les travaux passés sur le rôle des prud’homies de pêche méditerranéennes dans la défense des communs.

En remontant la pente, nous avons rencontré une habitante jouant de l’accordéon dans la traversée de l’Harmonie. C’était un petit moment magique dans cette longue traversée des quartiers nord qui a été accompagné par des brefs échanges sur le rôle de la musique pendant la période de confinement pour renforcer les liens entre voisins. Après la voie ferrée, nous avons commencé à rentrer dans la pinède menacée par la création de vaste zone de stockage de containers maritimes qui se sont développés ces dernières années. Nous avons marché jusqu’aux terrains de l’ancienne Villa Miramar qui font partis d’un legs si du sculpteur et mécène Jules Cantini à la ville de Marseille au début du Xxème siècle. Cet ancien terrain bastidaire supposé inaliénable a été cédé en 2011 à un entrepreneur industriel spécialisé dans le stockage de containers maritimes. Depuis plusieurs années, des habitants se mobilisent pour défendre ce commun et ces paysages immortalisés par les toiles de Cézanne. Les habitants du quartier l’Estaque Gare-Saint Henri ont de nombreux usages dans ce rare espace naturel entouré par les infrastructures routières, ferroviaires, maritimes et aéroportuaire. Depuis deux ans, des habitant.es se mobilisent pour défendre ce commun à partir des usages riverains s’articulant autour d’enquêtes collectives (écologiques, urbanistiques, patrimoniales….) pour interpeller les institutions publics afin modifier les zonages du Plan local d’Urbanisme (PLU) afin d’éviter l’extension de la zone industrielle et logistique6.

Photo : David Gabriel – CC-by-SA 4.0

Nous nous sommes longuement arrêté dans les jardins de l’ancienne villa Miramar. Assis ou allongés sur des nattes, ce moment était propice à la farniente. Un délicieux repas délicieux avait été préparé par des habitant.es et associations. Après la sieste, un débat en demi-teinte s’est ouvert sur la diversité au sein de notre groupe. Après quelques échanges rugueux, la pause déjeuner s’est terminée en musique et chanson. Une façon de vivre en acte la défense des communs comme une occupation sensible, vivante et créative du territoire.

Nous avons poursuivi notre longue traversée à la lisière de la ville, là où le Massif de la Nerthe a accueilli les grands ensemble de la Castellane et de la Bricade, entrecoupé du reste de la ville par des larges infrastructures routières et ferroviaires. Nous avons pris un chemin pour rejoindre le centre commercial qui fait le lien entre les quartiers. En contre bas de Grand Littoral, nous avons rencontré des membres de l’association 3.2.1 qui accompagnent des habitantes de La Castellane dans l’écriture d’un journal. Cette initiative s’inscrit dans le projet d’éducation populaire Awannäk qui propose des activités artistiques et ludiques autour de la microédition. Dans le dernier numéro, quelques pages sont consacrées au renouvellement urbain de la Castelanne du point de vue des habitantes : « lors de la première réunion d’information, les responsables de la rénovation nous ont parlé « d’ouverture sur la ville », « d’écologie », du parc et jardin de la Jougarelle, des transports, d’activités culturelles, de santé (…) On y a cru, je me suis investie, dans tous les ateliers, dans toutes les assemblées générales. Mais on s’est aperçu ensuite que c’était surtout pour détourner notre attention de la démolition de la tour K., et des dangers de ces travaux ».

Au cours des dernières années, la publication du journal de la Baguette Magique a favorisé un processus d’auto-organisation des habitantes qui s’accompagne aujourd’hui d’une recherche-action mêlant habitantes, associations et chercheurs. Plusieurs initiatives de pédagogie sociale se sont également dévéloppées avec la création d’un terrain d’aventure pour se réapproprier l’espace public. Dans le terrain vague en dessous du centre commercial, des affiches avaient été collés sur les grands poteaux de béton tandis que des traces de craies étaient encore visibles sur des gros cailloux à côté des nattes transportés dans des caddies.

Une discussion s’est alors ouverte sur les liens entre chercheurs et les mouvements d’habitant.es. Les quartiers nords de Marseille sont marqués par la fragmentation socio-spatiale avec des quartiers d’habitat social, des résidences fermés et des maisons individuelles. Elisabeth Doré a témoigné de ses recherches menées avec Un Centre Ville Pour Tous sur la transformation de ce vaste territoire, en particulier avec la construction de très nombreuses résidences fermés. Nous avons constaté l’émergence de nouveaux communs urbains créés à l’initiative d’associations et d’habitants dans des terrains en friche, à l’ombre des grandes infrastructures industrielles et commerciales dans des quartiers en pleine rénovation urbaine. Dans quelle mesure le processus d’auto-organisation des habitants, à l’origine de la création de ces nouveaux communs urbains et la réappropriation de l’espace public par la publication d’un journal et la création de terrain d’aventure, peut transformer les projets urbains de l’agence nationale de rénovation urbaine ? Est-ce que la nouvelle municipalité du printemps marseillais peut soutenir ce processus d’auto-organisation des habitant.es pour élaborer des projets urbains qui incluent les communs urbains, la réhabilitation du logement social et des écoles et le droit à la ville ?

Photo : David Gabriel – CC-by-SA 4.0

Cette longue traversée du nord de Marseille illustre l’importance d’élaborer de nouvelles politiques urbaines pour inverser la tendance à la fragmentation du territoire. C’est certainement à cet endroit que les démarches d’éducation populaire, d’auto-organisation et d’organisation collective ont besoin du soutien des experts et chercheurs dans des programmes de recherche-action. Pour cela, il est nécessaire de dépasser les postures extractiviste de nombreuses recherches académiques sur les quartiers populaires en inventant des tiers espaces qui se positionnent clairement aux cotés des habitants.

La balade s’est terminée dans le parc Foresta à proximité de Grand Littoral. Des vastes espaces ont été laissés vacants par une ancienne carrière d’argile qui appartenait au Marquis de la Foresta. Malgré le rachat du foncier par le promoteur Xavier Giocanti (marié à Christine Lagarde !), l’instabilité géologique d’un terrain argileux en pente a freiné l’urbanisation du site. Au fil du temps, le lieu est utilisé par les riverains pour des usages familiaux et récréatifs. Depuis cinq ans, l’association Yes We Camp a signé une convention d’occupation temporaire avec le promoteur pour favoriser la création d’activités culturels et de loisirs. Malgré les nombreuses critiques de cette alliance improbable entre un promoteur capitaliste, des associations et des habitant.es, le parc Foresta est devenu un vaste commun urbain au cœur des quartiers Nords. Cette situation n’est pas sans rappeler les droits acquis par des usagers sur des terrains privés dans l’époque pré-moderne. Aujourd’hui, le parc Foresta est dans une période de transition pour réfléchir à son avenir et sa gouvernance.

Plus d’infos : https://assembleesdescommuns.cc/

Documentation du groupe recherche de l’Assemblée des Communs de Marseille

Une Assemblée des Communs a été organisée du 12 au 14 novembre 2021 à Marseille pour partager des expériences, des outils et des stratégies sur les communs. Le programme proposait d’ouvrir des chantiers qui conjuguaient des thématiques (communs fonciers, soin et santé, communs urbains…) et des enjeux tranversaux (entraide juridique, financements, recherche, expérimentations…) dans le contexte de l’anthropocène, de la mondialisation entravée et d’une crise sanitaire qui s’installe dans la durée. Cette rencontre était une évasion bienvenue dans un quotidien rythmé par les restrictions et conséquences des différentes vagues de la pandémie.

Le mouvement francophone des communs ne s’était pas réuni physiquement depuis le Commonscamp qui avait déjà eu lieu dans la cité phocéenne en Janvier 2020. Dans l’intervalle entre les deux évènements, les commoneurs-euses se sont activement impliqué.es dans des campagnes de plaidoyer lors des élections municipales, puis suivi.es attentivement les vagues vertes et citoyennes qui ont déferlées dans plusieurs métropoles françaises (Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Marseille, Tours…), des villes moyennes (Chambéry, Annecy…) et de nombreux villages (…). Parmi ces expériences du nouveau municipalisme français, la victoire du Printemps Marseillais a suscité un intérêt particulier du fait de ses liens avec les luttes urbaines et les communs. L’assemblée des communs de Marseille était ainsi l’occasion d’identifier les facteurs internes et externes, favorables et défavorables pour les communs dans ce nouveau contexte politique.

Ce document propose une restitution non exhaustive du groupe recherche de l’Assemblée des Communs. Il rend compte de deux activités organisés dans deux secteurs très différents de la ville : au centre-ville et dans les quartiers nords de Marseille. Il débute par un récit de la visite de l’histoire des luttes de Noailles au musée d’histoire de Marseille autour de l’interrogation « du patrimoine comme commun »i et du récit de la balade-atelier intitulé « Le sens de la pente » qui a été l’occasion de réfléchir en marchant aux recherches du mouvement des communs.

Rendre compte est une tâche délicate. Comment restituer sur le même plan des présentations d’expériences, des débats, des connaissances sur le territoire et autres discussions informelles ? Sans prétendre à l’exhaustivité, nous proposons de partager des présentations, des bribes de conversations, des photos, des fragments de documents récoltés, quelques anecdotes personnelles et des premières analyses sur les communs. Cette première esquisse pourra servir à un transect sensible des territoires traversées1.

Certaines discussions ont eu lieu avant même le début de l’assemblée des communs. Tout au long de la descente de la vallée du Rhône pour rejoindre Marseille depuis les Alpes, des conversations passionnantes se sont engagés sur les biens communaux et l’action des communautés locales dans la préservation de leur environnement. Ces discussions se sont poursuivis jusqu’au point de rendez-vous à Massilia Vox (un tout nouveau local associatif situé à proximité de la gare St Charles) où l’accueil et les retrouvailles avec nos ami-e-s de Marseille ont été très chaleureux.

Le patrimoine commune commun : récit des luttes urbaines de Noailles au musée d’histoire de la ville de Marseille

Quelques semaines après le troisième anniversaire des effondrements d’immeubles de la rue d’Aubagne, une visite de l’exposition sur les luttes urbaines de Noailles était organisée au musée d’histoire de la Ville de Marseille dans le cadre de l’Assemblée des Communs. A partir des témoignages du collectif Noailles Debout et de l’Hotel du Nord, l’objectif était de réaliser une micro-enquête collective et contributives sur cette histoire tragique et les mobilisations d’habitants pour réfléchir ensemble au patrimoine comme commun.

Depuis la passerelle extérieure surplombant les ruines de l’ancien port de Marseille, Julie Demuer de la coopérative de l’Hotel du Nord a débuté la visite par une présentation d’une exposition de l’opération Bourse réalisée dans les années 60 par les architectes Boileau et Labourdette pour construire 300 logemenets et un centre commercial2. Cette vaste opération urbaine d’architecture brutaliste a été effectuée sur une zone laissée vacante après plusieurs vagues successives de démolitions d’immeubles et de terrassements qui se sont succedés entre 1848 et 1911 sans jamais réussir totalement à effacer les usages populaires. Le décor était planté : la destruction des quartiers populaires du centre-ville de Marseille est un processus à appréhender dans la longue durée.

Photo : David Gabriel CC-by-SA

Le 5 novembre 2018, deux immeubles de la rue d’Aubagne dans le quartrier de Noailles à Marseille se sont effondrés causant la mort de huit personnes. Dans les semaines et mois qui ont suivi plus de 800 immeubles ont fait l’objet d’un arrêté de péril provoquant le déplacement de plusieurs milliers de Marseillais évacués de leurs logements.. Les évènements de la rue d’Aubagne ont exposé au grand jour l’inaction des élus de la ville de Marseille face au logement insalubre. Ce jour là, les violences invisibles du mal-logement sont devenues visibles suscitant une mobilisation de grande ampleur qui restera comme un tournant dans l’histoire de Marseille.

Le samedi 10 novembre 2018, une marche blanche a rassemblé 10 000 personnes en hommage aux huits victimes. Cette manifestation était l’expression de l’indignation du peuple marseillais face au logement insalubre mais aussi le reflet du processus d’auto-organisation des habitants. En effet, plusieurs initiatives se sont déroulées tout au long de cette folle semaine autour de l’assemblée de quartier « Agora de Noailles » qui a donné naissance au collectif du 5 Novembre – Noailles en colère « pour défendre les droits des proches des victimes et de tou.tes celles et ceux qui ont été sinistrés, évacué.es, touché.es par ce drame. ». Les effondrements de la rue d’Aubagne ont fait l’objet de nombreux articles de la presse locale et nationale, des interviews et des milliers de messages postés sur les réseaux sociaux. Parmi les initiatives médiatiques, le journal « La Marseillaise » a lancé une grande enquête citoyenne sur l’habitat indigne relayés par des associations Emmaüs Pointe-Rouge, Droit au Logement, le Donut Infolab et la Confédération Nationale du Logement et de nombreux citoyens. En quelques jours le hashtag #balancetontaudis est devenu viral permettant de signaler plusieurs centaines de logements insalubres3.

La semaine suivante, une marche de la colère est organisé en bas de la rue d’Aubagne « pour que les responsables du drame de la rue d’Aubagne et du pourrissement des habitants soient condamnés ! Marseille en deuil, Marseille en Colère ! », suivi le lendemain par un concert de soutien aux sinistrés de Noailles dans la salle du Molotov qui rassemble de nombreux artistes locaux dont Massilia Sound System, K-Rhyme Le Roi, Toko Blaze et bien d’autres.

Photo : David Gabriel CC-by-SA

Le 1er décembre une seconde manifestation rassemble de nouveau 10000 personnes lors d’une marche pour le droit à un logement digne pour toutes et tous. Au Vieux Port, le cortège converge avec les gilets jaunes qui participaient à son « Acte 3 » contre la politique gouvernementale. Rassemblé devant l’Hotel de Ville designé comme un symbole du pouvoir à renverser, les manifestants ont été dispersé par des grenades lacrymogènes lancées par les forces de police. Dans la plus grande confusion, des petites barricades sont alors levés sur la Canebière. Alors qu’un cortège s’était reformé dans les petites ruelles du bas de Noailles, la police a continue d’inonder le secteur de gaz en faisant ricocher les grenades sur la façade des immeubles. C’est à ce moment là, que Zineb Redouane, une habitante de Noailles de 80 ans, fut grievement blessée par des grenades alors qu’elle était en train de fermer les volets de son appartement situé au 4ème étage. Mois d’un moins après le 5 novembre, le quartier de Noailles était de nouveau frappé par un drame amplifiant la colère et la détermination des habitant.es.

Les habitants vont multiplier les actions contre l’habitat indigne pendant le mois de décembre 2018. Après l’annulation du conseil municipal du 10 décembre, les élus de la ville de Marseille seront mis sous pression lors du conseil municipal du 20 décembre. Le collectif du 5 Novembre pointe les responsabilités des élus dans le drame de la rue d’Aubagne et plus largement du logement insalubre à Marseille. La gestion de la crise est lamentable. La majorité municipalité ne prend même pas le temps de recevoir les familles des victimes et s’enferme dans le déni. L’unique réaction des pouvoirs publics a été de multiplier les arrêtés de péril et d’insalubrité engendrant l’évaculation des milliers de marseillais de leur logement. La municipalité étant incapable de gérer dignement les processus de relogement, la contestation initiale centrée sur le drame du 5 novembre va s’élargir progressivement à la question des évacuations d’immeuble. Pendant les fêtes de fin d’année, un formidable mouvement de solidarité s’organise pour soutenir les familles délogées en collectant des vêtements, produits d’hygiènes, repas (…) mais aussi créer des moments de répis pour les familles à travers des moments culturels et convivaux.

En quelques semaines, la rue d’Aubagne est devenue l’épicentre d’un vaste processus d’auto-organisation des habitant.es. Elle est redevenue un commun urbain grâce aux pratiques de commoning. Les murs de Noailles se sont recouvert d’affiches, des messages ont été peints sur les trottoirs et les façades. Les assemblées populaires ont rassemblé des centaines de personnes différentes. L’histoire tragique a donné naissance à des mouvements d’habitants animés d’une rage porteuse d’espoir et d’une volonté d’agir qui s’étend à l’échelle de la ville. La parole collective s’est structuré progressivement pour élargir les revendications du logement à la ville. La publication du « Manifeste pour une Marseille Vivante, Accueillante et Populaire » a listé une série de rendications allant de la réquisition des logements vides à la lutte contre spéculation immobilière mais aussi exigeant la rénovation des écoles, l’annulation des partenariats publics-privé (…) et la construction d’opération d’urbanisme avec les habitants. La tribune publiée dans le Monde intitulée « Nous sommes tous les enfants de Noailles » témoigne de ce processus de d’expression collective d’une parole politique.

Au printemps 2019, la question du relogement des délogés sera au cœur des négociations entre les collectifs et les pouvoirs publics. Alors que les évacuations et démolition se poursuivent, les collectifs réussissent à imposer leurs conditions dans une charte du relogement co-construite par l’Etat, la Ville de Marseille, le Collectif du 5 Novembre – Noailles en Colère, Un Centre ville pour Tous et de nombreux autres partenaires. La charte expose le cadre de mise en place des procédures pour les personnes évacuées (l’insalubrité, le péril, les modalités d’évacuations de logement) ; les dispositifs d’accompagnement des personnes évacuées, la prise en charge de leur hébergement et de leurs besoins élémentaires et la prise en compte du traumatisme psychologique qu’elles subissent, et l’ensemble des étapes vers le relogement définitif. La signature de la charte en Juillet 2019 après de longues négociations marquera une victoire des associations pour la défense des droits des habitant.es impactés.

Au bout de six mois de luttes urbaines, les associations signataires du « Manifeste pour une Marseille Vivante, Accueillante et Populaire » ont organisé les Etats Généraux de Marseille qui se sont tenus à Air-Bel et la faculté Saint Charles. Plus d’un millier de personnes se sont réunit pour affirmer que « rien n’effacera le malheur de l’effondrement de la rue d’Aubagne, le 5 Novembre 2018. Mais nous avons trouvé l’énergie de nous réunir pour élaborer de quoi non seulement désigner les responsables mais aussi dessiner un avenir désirable pour Marseille ». Ces Etats Généraux ont été une première étape dans la construction d’un changement de politique à Marseille qui a précipité la fin du règne de Gaudin et l’émergence du Printemps Marseillais lors des élections municipales en 2020.

Le patrimoine de Noailles en commun

Réuni autour de la maquette du quartier de Noailles réalisés par des étudiants en architecture, notre groupe s’est intéressé au patrimoine de Noailles comme commun et à la construction des récits sur les luttes urbaines de la rue d’Aubagne. Le processus d’auto-organisation qui s’est déroulé autour de la rue d’Aubagne a produit un nouveau lien entre les habitants et les espaces urbains réappropriés. Comme a pu l’écrire David Harvey « par leurs activités et leurs luttes quotidiennes, les individus et groupes sociaux créent le monde social de la ville, et engendrent ainsi quelquechose de commun qui constitue un cadre à l’intérieur duquel ils peuvent tous résider.4 » Il n’y a qu’un pas pour considérer le patrimoine de Noailles comme un commun. Nous parlons ici aussi bien du patrimoine urbain, tel que les rues (en premier lieu la rue d’Aubagne), les places et des immeubles (au cœur des enjeux), mais aussi tout le patrimoine immatériel engendré par la mobilisation collective (récits, images, connaissances…).

Photo : David Gabriel CC-by-SA

Le récit des luttes urbaines de Noailles a aujourd’hui sa place au sein du musée d’histoire de la ville de Marseille. La rencontre entre l’association Noailles Debout  et la conservatrice Christine Breton a abouti à une exposition d’une collection d’objets en lien avec l’histoire des mobilisations de la rue d’Aubagne lors des journées du patrimoine 2019. Parmi ces objets, « les Chaînes » servant à cadenassées les portes des immeubles en péril ont été remis au conservateur du musée d’histoire de la ville de Marseille.

A l’occasion du premier anniversaire de l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne, les habitants ont inauguré la «place du 5 novembre ». Ce baptême de la place a été un moment fort dans la construction d’une mémoire commune et de réappropriation d’un commun urbain. Un livret a été publié pour laisser une trace de cette événement : « En décidant de donner un nom à ce carrefour, nous voulons que cette date reste à jamais inscrite dans la mémoire » (…) « il est le nom de la double place que les Marseillais ont décidé de prendre dans cette histoire pour qu’elle ne se répète plus jamais. Une place d’habitant.e.s organisées à tenir et à revendiquer ; rester dignes face à l’indigne. Une place urbaine et commune à investir et à reprendre : la rue comme le lieu de l’appropriation et de la prise de pouvoir des habitant.es sur l’histoire. » Le nom de la place a depuis été officialisé par la nouvelle municipalité en novembre 2020.

Pour Laura Spica de l’association Noailles Debout, il est important que l’histoire du 5 novembre 2018 soit écrite par les personnes qui se trouvaient à proximité du « kilomètre zéro », c’est à dire le lieu des effondrements. Le statut de personne affectée par la catastrophe produisant une légitimité politique pour s’exprimer sur l’évènement. La mise en récit des évènements a été un moyen de prendre soin des personnes impactées pour essayer de dépasser les chocs et traumatismes. Le récit n’est pas qu’une description des faits ou une analyse de l’action collective des habitant.es. mais aussi un partage des émotions liées au trauma. Une participante a témoigné que cette expérience pouvait faire écho aux pratiques de santé communautaire où les problèmes sont pris en charge par l’ensemble des ressources de la communauté. Il a également été souligné que le partage des émotions s’inscrit dans une longue tradition des luttes féministes.

Prendre place pour prendre soin

Nous avons ensuite exploré un second espace du musée d’histoire de la Ville de Marseille dédié à l’exposition des images, objets et archives des effondrements de la rue d’Aubagne. Une discussion s’est ouverte sur cette collaboration originale entre habitants, conservateurs, associations, artistes et chercheurs sur la mémoire des effondrements du 63 et 65 rue d’Aubagne. A l’initiative de la coopérative de l’Hotel du Nord, le projet « Prendre place » a été imaginé pour que « les habitants organisent leurs archives, écrivent leurs mémoires et transforment leur avenir à travers un processus de patrimonialisation ».

L’histoire du quartier de Noailles est à envisager dans un temps long. Les mobilisations de Noailles forment un patrimoine immatériel vivant qui s’est transmis au fil des années.

Photo : David Gabriel CC-by-SA

Laura Spica a témoigné de l’effondrement du point de la rue d’Aubagne le 5 Juillet 1867 qui a causé la mort de plusieurs ouvriers. Il faudrait également de souligner, aux cotés des capacités exceptionnelles des habitants de Noailles face à la situation dramatique, le rôle des associations comme un Centre Ville pour Tous et tant d’autres qui ont contribué au succès des mobilisations. Les connaissances acquises depuis les premières luttes à Belzunce et rue de la République ont été décisives pour favoriser l’émergence de ce mouvement pour le droit à la ville à Noailles. Ou des premières assemblées populaires organisé dès 2005 à Noailles par le mouvement la Rage du Peuple qui pointait déjà la question du logement insalubre et du droit à la ville. Dans la lignée d’Halbwachs qui a posé les fondements du lien entre la ville et la mémoire collective, un travail complémentaire pourrait être réalisé avec des chercheurs pour restituer et transmettre l’épaisseur de l’histoire de nos quartiers comme contribution au patrimoine en commun.

Pour Prosper Wanner, la convention Faro sur la valeur du patrimoine culturel pour la société permet justement que les habitants décident ce qui fait patrimoine pour eux. Grâce au réseau de la convention Faro, les luttes de Noailles peuvent être mise en perspectives aux cotés d’autres expériences à Rome, Lisbonne, Belgrade ou à Casablanca (atelier de l’observatoire). Tout comme le renforcement des liens avec les chercheurs, les alliances avec les institutions culturelles comme les musées est un enjeu stratégique pour les mouvements d’habitants qui agissent pour les communs et le droit à la ville.

Perspective des luttes urbaines à Noailles

Une nouvelle phase s’ouvre avec les projets de réhabilitation des immeubles insalubres à Noailles comme dans le reste de la ville. Dans le cadre du projet périmètre d’aménagement (PPA), plusieurs îlots ont été identifiés pour réaliser des opérations de réhabilitation exemplaire. Le projet est porté par la Métropole de Marseille mais la ville de Marseille a la délégation de la concertation pour la mise en œuvre du projet. Tout ce qui concerne le logement insalubre à Noailles est un enjeu politique très important pour la nouvelle municipalité du printemps marseillais qui est attendu au tournant sur ce sujet par les habitant.es.

A l’automne 2020, l’adjointe à l’urbanisme Mathilde Chaboche a proposé l’organisation d’atelier populaire d’urbanisme (APU) pour co-construire les projets de réhabilitation. L’association Un Centre Ville pour Tous s’est alors saisie de cette proposition pour organiser des premières APU sur la déclaration d’utilité publique – réserve foncière (DUP) de la rue d’Aubagne5 à l’automne 2021. Malgré ces initiatives, les habitant.es ne sont toujours pas officiellement reconnues comme parties prenantes du projet. La mobilisation des habitants doit donc se poursuivre pour réussir à imposer des conditions une réelle co-construction du projet urbain afin de défendre le patrimoine de Noailles comme un commun urbain.

Le rôle des chercheurs-euses est également un enjeu stratégique pour apporter un soutien aux démarches de co-construction. Il serait nécessaire d’explorer les différents outils juridiques permettant de défendre un projet de réhabilitation en faveur du patrimoine commun ; de la loi Lamy qui impose le principe de co-construction dans les projets urbains des quartiers politiques de la ville à travers les conseils citoyens à la convention Faro du Conseil de l’Europe qui permet aux habitants de défendre ce qui fait patrimoine pour eux.

Plus d’infos : https://assembleesdescommuns.cc/

1Frédéric Pousin, Audrey Marco, Valérie Bertaudière-Montès, Carole Barthélémy et Nicolas Tixier, « Le transect : outil de dialogue interdisciplinaire et de médiation », VertigO, Hors-Série n° 24, 2016.

  • 2Jacques Henri-Labourdette, architecte – Une vie, une œuvre, éd. Gilletta-Nice-Matin, Nice, 2002, 158 p.

3https://www.arcgis.com/apps/StorytellingSwipe/index.html?appid=9057633a0e04444e856bbdeeb23f9913#

4David Harvey, Villes rebelles. Du droit à la ville à la révolution urbaine, 2012

5https://centrevillepourtous.fr/2021/04/27/ateliers-populaires-durbanisme-a-noailles/

6https://www.hoteldunord.coop/sauvons-miramar-retours-sur-la-saison-1/

Défense des communs de la santé à Grenoble

Des bonnes nouvelles dans la lutte pour défendre les communs de la santé à Grenoble 📢

Comme vous le savez, l’Assemblée des Communs alerte, aux cotés de nombreuses forces citoyennes et politiques, depuis de nombreuses années sur le risque de privatisation de la clinique mutualiste dans le quartier populaire de St Bruno.

Le Groupe hospitalier mutualiste est né en 1957 à Grenoble et comprend la clinique mutualiste, la clinique d’Alembert, l’institut Daniel-Hollard et la clinique de Chartreuse (Voiron). Il compte 430 lits, 200 médecins et 1 100 salariés.

La construction du premier établissement du groupe (la clinique mutualiste des Eaux-Claires) a été décidée en 1957 à l’initiative de l’union départementale des sociétés mutualistes de l’Isère. C’est un commun.

A St Bruno, la clinique mutualiste porte le nom de Daniel Hollard, conseiller municipal PSU de Grenoble entre 1965 et 1971, qui a joué un rôle important dans les groupes d’action municipale et les orientations municipalistes de la ville. Daniel Hollard a également milité pour la création des deux centres de santé communautaire au sein de la Villeneuve en 1973 qui existent toujours #droitalaville

Le 6 juillet 2020, après avoir écarté deux de ses concurrents, le groupe français Doctegestio (qui deviendra le groupe Avec, en janvier 20213) s’est emparé, par une série de manoeuvre, de l’ensemble de l’établissement et ses équipements. Cette privatisation de ce commun a suscité de de fortes oppositions à Grenoble de la part de l’Assemblée des communs, de l’Union de QUartier, de la ville de Grenoble,  habitants du quartier, groupes syndicaux et politiques…

Ces derniers jours, la mobilisation s’est accélérée avec la mise en examen du fondateur et pdg du groupe AVEC. Il a été mis en examen pour « prise illégale d’intérêts par un chargé de mission de service public dans une affaire dont il assure l’administration ou la surveillance. Il est également mis en examen pour « détournement de fonds publics,

Si la victoire n’est pas encore gagnée pour un retour à une gestion en commun du groupe mutualiste, c’est une grande victoire pour les grenoblois qui s’inscrivent dans la transition de lutte contre la corruption (voir affaire Carignon dans les années 90 https://www.ici-grenoble.org/question-answer/cest-quoi-laffaire-carignon) !